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L’avis des libraires - 178ème chronique : Labyrinthe

L’avis des Libraires : 178ème chronique

Labyrinthe d'A.C.H Smith

Coup de Foudre Labyrinthique

Un soir de tempête, Sarah, une adolescente impétueuse à l'imagination débordante, adresse à son petit frère Toby une simple phrase, une phrase qui pourtant va tout changer - « Je souhaite que les Gobelins viennent et t'emportent sur le champ. »

Malheureusement, sa prière est exaucée : le nourrisson est enlevé par Jareth, le roi des Gobelins, au cœur de son royaume enchanteur et inquiétant. La jeune fille va dès lors devoir traverser les lieux si elle espère revoir l'enfant.

Mais le décompte est lancé et il ne lui reste que treize heures pour parvenir au château de Jareth, à travers un mystérieux labyrinthe...


** Attention : Légers spoilers **


Il était une fois, aux prémices de notre fresque, la fusion de deux génies : celle du réalisateur-scénariste Jim Henson et du directeur artistique-illustrateur Brian Froud, les créateurs de Dark Cristal. Ces quatre mains magiciennes modelèrent un conte de fée moderne, menaçant et envoûtant, un film novateur et singulier appelé à devenir culte. Le long-métrage, sorti en 1986, répond au titre de Labyrinthe.

Il narre le voyage initiatique d'une adolescente, campée par une toute jeune Jennifer Connelly, face à un fascinant tyran mélancolique, le roi Jareth, interprété par David Bowie. Face à l'actrice, déroutante de naturel entre candeur et détermination, le Thin White Duke joue un rôle créé à sa mesure. Celui d'un souverain trouble aux motivations ambiguës, flamboyant et au spleen infini, tentateur et inaccessible. Il est rongé par le doute, l'ennui, la lassitude, la peur du temps et de voir son emprise s'effriter au fil des siècles. Si sur le papier Jareth est un antagoniste attrayant et complexe, à l’écran, il est tout simplement iconique. Nul doute que sa grande notoriété au sein de la pop culture doit beaucoup à l’interprétation du chanteur, suave, excentrique et saturnien.

Porté par son captivant tandem, Labyrinthe est une quête de soi et un périple d'apprentissage. L'héroïne est en pleine adolescence, période charnière sur la construction d'une identité. Si elle a d'indéniables mérites, son caractère n'est pas lisse et compte de nombreux défauts ; elle est têtue, crédule, capricieuse, superficielle, drama queen en puissance... A la manière d'une Alice ou d'une Dorothy Gale, Sarah doit faire ses armes dans un monde qui la dépasse et qui, pourtant s'avérera riche en leçons : la tolérance, la prudence, la réflexion, le courage, l'entraide, l'abnégation, le pardon. Elle apprendra à faire fi des apparences, vivre son existence sans procuration, prendre conscience de l'injustice de la société et lutter contre elle plutôt que de la subir ou de la suivre aveuglément. L'effet de la "foule mouton" est bien représenté par les Gobelins ; les petites créatures décérébrées et viles, dépourvues d'une conscience qui leur est propre, se plient au désir de Jareth sans jamais remettre en cause ses décisions ou ses actes.

A une autre échelle, le parcours de l'héroïne peut aussi être vu sous un angle féministe - Sarah lutte contre un homme qui incarne la justice arbitraire, le prédateur séducteur et le manipulateur qui cherche à avoir la main mise sur sa vie, ses rêves. De la même manière, elle est mal à l'aise avec l'hyper-sexualisation dont elle est victime lors du bal, du désir que lui renvoie la gente masculine alors qu'elle sort à peine de l'enfance et y reste attachée sur de nombreuses facettes. Elle se pose la question de savoir si elle mérite d'être malmenée voire agressée à la suite de sa danse avec le roi, suppose pendant un temps qu'elle l'a sans doute mérité et qu'elle a fait quelque chose qui inciterait les Hommes à se comporter ainsi envers elle... Avant de se ressaisir et de conclure que ce n'est pas elle le problème mais bien la société dans laquelle elle évolue ! Cette scène est une retranscription cauchemardesque d'une Cendrillon qui découvre en son prince un monstre dissimulé sous ses atours et la magie des lieux.

Parce que oui, Labyrinthe n'en demeure pas moins féerique par les lieux, les décors, les costumes, l'impressionnant bestiaire au nom évocateur rencontré par Sarah : les Fées et les Gobelins mais aussi les Mains Secourables, les Avertissements Bidons, les Ardants, un sage au chapeau doué de paroles, un ver de fort mauvais conseils et tout un panel d'objets dotés de conscience...

L'intrigue manie l'absurdité maîtrisée d'un Lewis Carroll, la rêverie nébuleuse d'un J.M Barrie, la féerie sombre des contes ancestraux et les thématiques modernes des grands romans contemporains. C'est cet équilibre parfait entre noirceur et merveilleux, entre angoisses enfantines et aventures fantastiques, qui l'érige en monument incontournable.

Outre la richesse du scénario, ses nombreuses métaphores et son inventivité foisonnante, le film est insolite à tout niveau, imparfait mais profondément sincère, regorgeant de trouvailles visuelles. Si certains effets spéciaux accusent un certain coup de vieux, les marionnettes, l’alchimie et la solidité d'interprétation du duo principal, la beauté de la bande-originale composée par Trevor Jones et les morceaux mémorables signés Bowie confèrent à l'ensemble un charme intemporel. Le tout véhicule une sorte de cachet suranné, renforce l'étrangeté de ces landes chimériques, sied à merveille à une trame évoquant le passage inéluctable du temps. Jareth vieillit, Sarah grandit - les deux personnages devront apprendre à composer avec cette fatalité.

Vous l'aurez compris, ce film s'inscrit dans les œuvres qui marquent et impactent une vie longtemps après visionnage. Elle a bouleversé la mienne. A 13 ans, le coffret DVD Jim Henson m'a permis de frémir, de m'émerveiller devant Dark Crystal, Mirror Mask et bien sûr Labyrinthe. A 19 ans, j'ai envisagé cet univers par une analyse plus poussée, plus profonde et ne l'ai aimé que davantage. A 26 ans, je me rends compte qu'après avoir partagé la moitié de ma vie avec Sarah, je reste profondément amoureuse du monde clandestin de Jareth. CVia cette chronique, je peux enfin évoquer avec vous cette fable dont je brûle de vous parler depuis si longtemps - et j'espère sincèrement vous avoir donnez envie de découvrir ce chef-d’œuvre encore trop ignoré en France.

Le roman que je vous délivre ici est la transposition parfaite du script, de ses qualités, de ses trésors. Le livre d'A.C.H Smith n'a pas servi d'inspiration au film mais est bel et bien une novélisation du long-métrage - un travail d'adaptation certes méconnu mais très en vogue dans les années 80-90. Tout y est retranscrit ! Si le défi est de taille, Smith possède une plume immersive, fluide, très visuelle, qui transporte d'emblée dans les péripéties établies par Henson. Tout en suivant le scénario à la lettre, il explique certains actes et choix des personnages, approfondit leur psychologie, en prenant garde à ne pas trop les expliciter. L'ouvrage se dévore d'une traite, addictif et rythmé, séparé en 19 chapitres parfaitement équilibrés.

Paru au format poche à l'aube des 90's, le livre bénéficie en cet été 2020 d'une sublime réédition par Ynnis : couverture de Steve Morris, illustrations préparatoires de Froud, cahier de notes rédigé par Henson en personne... Il bénéficie en outre d’une toute nouvelle – et très bonne ! – traduction par Isabelle Pernot. Le roman est donc un incontournable, tant pour les fans du long-métrage que pour les adeptes de la Fantasy.

Alors succombez au film, émerveillez-vous des morceaux de Bowie, laissez-vous ensorceler par le roman et subjuguer par cette histoire. Faites confiance à votre imagination, rappelez-vous la formule, guettez le hululement d'une chouette... Un dédale entre monstres et merveilles vous attend au détour d'une image, d'une musique ou d'une page.

 

~ La galerie des citations ~



« Au royaume de Jareth, tout le monde était individualiste. Quand quelqu'un rendait un service, ce n'était jamais par gentillesse, mais par calcul, dans l'attente d'un retour sur investissement. Le verbe "donner" était un mot obscène tout juste bon à être griffonné sur les murs des toilettes. Le verbe "aimer" n'avait d'autre connotation que le désir. On se débrouillait par soi-même, mais si on pouvait écraser quelqu’un d'autre au passage, c'était encore mieux. Tous les habitants du château enviaient Jareth. Toutes ses demandes étaient satisfaites. Et il avait bien l'intention cela continuât ainsi. »

~ p 177-178

« Le corps de Sarah, comme hypnotisé, se balançait au rythme de la mélodie. Elle était à la fois la musique et la danse. Vêtue d'une robe de bal, elle valsait à l'intérieur d'une bulle. Enchantée et enchanteresse, elle se mouvait lentement dans le ciel en compagnie des autres danseurs. »

~ p 210

« - Quand tu auras trouvé le moyen d'y accéder, reste dans ton rêve, Sarah.

Jareth la regardait droit dans les yeux, et son sourire avait quelque chose de sérieux.

- Crois-moi. Si tu veux vraiment être libre et entièrement toi-même... C'est bien ce que tu veux, n'est-ce pas ?

Sarah acquiesça.

- Alors tu trouveras ce que tu voudras aussi longtemps que tu resteras dans ton rêve. Car si tu y renonces, tu seras à la merci des rêves des autres gens. Ils feront de toi ce qu'ils ont envie que tu sois. Oublie-les, Sarah. Fais confiance à ton rêve. »

~ p 215-216

« Tu es cruelle, Sarah. Nous sommes bien assortis tous les deux. J'ai besoin de ta cruauté, et toi de la mienne. »

~ p 265

 

Labyrinthe d'A.C.H Smith aux Editions Ynnis, 300 pages, 14€95. Dès 12 ans.


Article paru en version écourtée dans le Pays Briard du 17.07.20

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