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L’avis des libraires - 158ème chronique : Une machine comme moi

L'avis des libraires : 158ème chronique

Une machine comme moi de Ian McEwan

Confession d’un robot du siècle (dernier)

1982. Le monde de Charlie et Miranda ressemble à s’y méprendre au nôtre, à quelques détails près : les Beatles continuent leur carrière, Georges Marchais est président de la République française, les Anglais ont perdu la guerre des Malouines et le brillant Alan Turing est encore en vie. Le travail du chercheur a initié une avancée technologique spectaculaire, notamment en matière d’intelligence artificielle. Le summum du progrès ? Les Adam et Ève, des robots androïdes surdoués dont l’apparence ressemble à s’y méprendre à celle des humains. Lorsque Charlie et Miranda font l’acquisition de leur Adam, ils sont loin d’imaginer jusqu’où cette cohabitation singulière va les mener…


Après la romance historique (Expiation), le drame nuptial (Sur la plage de Chesil) ou sa version Placenta & Co d’Hamlet (Dans une coque de noix), c’est cette fois sur l’uchronie sociale que se penche Ian McEwan avec son tout dernier roman : Une machine comme moi. Un roman dérangeant et sombre, en curieuse résonnance avec notre époque où la question des IA hante les sommités scientifiques, la morale et l’Art.

L’uchronie est ici prétexte à explorer l’Homme et ses contradictions face au regard pur d’un androïde. Miranda et Charlie se confrontent à Adam, au sein de leur couple, à leur entourage, à eux-mêmes. Le roman est bien entendu un ouvrage de SF implacable mais il est tout autant une fine analyse sociétale, une brillante plongée dans les relations humaines, un vibrant hommage à Turing. Souvent philosophique, l’ouvrage nous pousse, sans cesse, à réfléchir sur les questions éthiques, qu’il s’agisse du climat, de la religion, de la science, de la politique, de ce qui est juste ou non, de ce qu’est l’humanité – une énigme existentielle parfaitement résumée par cette citation de Turing : « à partir du moment où nous ne verrons plus aucune différence de comportement entre la machine et l’homme, il nous faudra reconnaître l’humanité de la machine ». On y trouve, surtout, la question épineuse du mensonge – à quel point est-il pieux, excusable, charitable ou, à l’inverse, grave, condamnable ?

S’il aborde des thématiques sombres et pousse sans cesse le lecteur dans ses retranchements, le dernier McEwan se dévore pourtant d’une traite : la plume acérée de l’auteur donne au tout des allures de thriller, la tension monte inexorablement au fil des chapitres, la tragédie se joue dans l’ombre, l’étrange trio Miranda/Charlie/Adam ne sortira guère indemne de son curieux ménage.

D’emblée, on sait que l’intrigue connaîtra un final impitoyable – la faute au regard alarmiste que porte l’écrivain sur nous : l’Homme, imparfait par essence, ne peut que détruire et ne saurait affronter la perfection représentée par un être plus évolué, plus juste, plus charitable qu’il ne le sera jamais. Peu importe qu’il en soit le créateur et que l’être soit son Frankenstein mécanique, l’histoire finit rarement bien... Difficile de ne pas se remémorer Les androïdes rêvent-ils de moutons électriques ? et son adaptation phare Blade Runner. De nombreuses productions SF cultes (ou amenées à l’être) ont également connu un certain retentissement dans les sphères cinéphiles telles que A.I, Eva, Ex Machina… Il en va de même sur le petit écran avec Real Humans et plus récemment Westworld. Bref, les androïdes sont partout et, souvent, leur malheur découle de l’Homme et de sa nature profonde, fortement ambigue et volontiers destructrice.

Si le livre ne s’éloigne donc pas de cette sombre vision du rapport humains-robots, il doit beaucoup au style inimitable de son conteur-théoricien, à l’élégance de ses phrases, à l’ambiance emplie de spleen qu’il instaure tant par l’attitude de ses personnages que par leurs réflexions, leurs déambulations dans ses 80’s alternatives. Le rythme est volontiers lent ; l’engrenage happe le lecteur comme il attrape par surprise les protagonistes, impitoyable, insistant sur la fatalité des évènements narrés. On en sort broyés, étreints par la culpabilité, ceuillis par l'empathie au moment où l'on s'y attendait le moins.

Reste qu’Une machine comme moi laisse un goût doux-amer une fois sa lecture achevée, sentiment dont la cause n’est pas uniquement provoquée par son dénouement mélancolique. En effet, il s’apparenterait presque au chant du cygne de son auteur, entre auto-références, évocation de ses thématiques phares et pessimisme revendiqué. Espérons qu’il n’en soit rien car Ian McEwan est et restera l’un des plus fabuleux romanciers que la littérature britannique nous ait offerts.

Son benjamin de papier en est l’exemple le plus flagrant : une excursion romanesque dans un passé futuriste intense, brillante et sans concession. Vous n’avez pas fini de vous interroger sur ces âmes informatiques…

 

~ La Galerie des Citations ~


« Nous avions des ambitions, pour le meilleur et pour le pire : que le mythe de la création devienne réalité, que s'accomplisse un acte d'un narcissisme monstrueux. »

~ Charlie

 

« Devant nous trônait le jouet ultime, un rêve séculaire, le triomphe de l'humanisme - ou son ange exterminateur. »

~ Charlie découvre Adam

 

« Le présent est la plus fragile des constructions improbables. Il aurait pu être différent. En partie ou en totalité, il pourrait être tout autre. C'est vrai des problèmes mineurs comme des plus vastes. »

~ Charlie

 

« Est-ce donc un crime,

justice étant symétrie,

d'aimer une criminelle ? »

~ haïku d'Adam

 

Ian McEwan, Une machine comme moi aux Éditions Gallimard. 387 pages. 22 €.


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