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  • Photo du rédacteurChloé

Cin’express : Décembre 2019

🎥 Cin’express : Décembre 2019 🎥

 

🎬 Jumanji - The Next Level : 3/5

Après le succès inattendu de Jumanji – Bienvenue dans la jungle, Dwayne Johnson et son équipe rempilent pour un second volet ! Si l’effet de surprise et le résultat étonnamment bon du premier opus avaient séduit les spectateurs, on pouvait légitimement redouter que ce joli tour de force ne se reproduise pas par deux fois… KO pour les sceptiques : ces craintes s’avèrent totalement injustifiées ! The Next Level s’inscrit dans la droite lignée de son prédécesseur. Il réitère la formule de base, entre aventures sur-vitaminées, punchlines décomplexées et bonne dose d’autodérision, tout en innovant sur de nombreux aspects et en se permettant quelques moments d’émotions bienvenus. Il réussit d’ailleurs l’exploit de pousser son délire encore plus loin, offrant plusieurs scènes réellement ébouriffantes… Les quatre héros (Spencer, Bethany, Fridge et Martha) poursuivent une évolution correcte ; on prend d’ailleurs beaucoup de plaisir à revoir l’ensemble des personnages, y compris les secondaires, tous les protagonistes étant utilisés intelligemment. Les acteurs, visiblement très à l’aise dans leur rôle, semblent ravis de retrouver cet univers et affichent une jolie alchimie qui transparaît à l’écran – Jack Black toujours en tête. Quant au dénouement, bel hommage au Jumanji original porté par Robin Williams, il nous promet une chose : la partie est loin d’être finie.

 

🎬 Brooklyn Affairs : 4,5/5

Le coup de cœur inattendu de l'année qui sera hélas passé relativement inaperçu dans nos contrées, c'est celui-ci : Brooklyn Affairs. Pour son second long-métrage où il évolue à la fois en tant que réalisateur et acteur principal, Edward Norton refuse toute facilité. Son film est ambitieux, à la croisée des genres, et il le prouve à chaque instant.

A priori, rien de bien original pourtant : un policier à la pure sauce 50's relatant l'enquête d'un détective privé bien décidé à faire la lumière sur le meurtre de son mentor, protecteur et ami. Pourtant, le film va bien au-delà d'une simple traque dans un New-York en pleine ébullition.

Au cœur d'un scénario machiavélique rondement mené sur une quête de la vérité, on retrouve en effet l'un des anti-héros les plus attachants et déroutants qui nous ait été délivré par ce type de production : Lionel Essrog (Norton), un détective atteint du syndrome Gilles de La Tourette, offre un mélange de loufoquerie, d'attachement, d'intelligence et de mélancolie absolument irrésistible. Dans le rôle, Norton dévore l'écran par sa présence et son talent, avec l'implication extrême qui le caractérise depuis la révélation Fight Club.

Du long de ses 2h20, Brooklyn Affairs est un film noir extrêmement dense, qui brasse nombre de thématiques fortes sans jamais paraître inégal ou ampoulé. Loin du long-métrage attendu, ce dernier est avant tout social et politique. Sont évoqués la pression exercée sur les minorités et les défavorisés, le racisme, l'acceptation de la différence, le combat des idéalistes contre les machineries bien huilées des puissants... Norton dépeint des rêveurs grandioses, des ratés magnifiques, et il le fait à la perfection. Ainsi, si les propos sont dramatiques, si cette lutte contre les grandes puissances semble toujours aussi vaine, l'ensemble est atténué par son duo principal, Lionel et Laura, lequel véhicule une lueur d'espoir, d'authenticité et d'intégrité au milieu des diktats financiers et de la corruption de l'Etat. Malgré les thèmes forts abordés ici, aucun rebondissement pathos, aucune scène tire-larmes - le message est assez fort pour se soustraire à ce racolage mélo. L'humour alterne avec l'émotion, les scènes d'action se superposent à des moments de pure tension, le film est frénétique quand il le faut, posé lorsque sa trame l'exige, en un rythme absolument parfait.

Tout le casting se révèle brillant et les acteurs portent des personnages troubles aux ambitions ambiguës : s'il apparaît peu, Bruce Willis tient l'un de ses rôles les plus forts, les plus iconiques, sacralisé par la caméra de Norton ; en Laura, Gugu Mbatha-Raw est comme toujours incroyable, véhicule sa douceur et sa détermination à chaque scène où elle apparaît ; Alec Baldwin prend un plaisir visible à jouer les salauds mégalos ; Willem Dafoe confirme sa faculté à camper les vieux excentriques complexes... Une distribution impeccable de bout en bout, à laquelle Norton laisse toute la place nécessaire pour exister et évoluer.

Ajoutons à cela l'efficacité de la mise en scène, certains plans remarquablement pensés, innovants et immersifs, la reconstitution formidable des années 50, le tout souligné par la bande-originale très jazz de Daniel Pemberton.

Un polar somme toute très classe qui reprend ses classiques tout en se démarquant par ses engagements et ses protagonistes. Edward Norton réussit son pari haut la main en adaptant Les Orphelins de Brooklyn de Jonathan Lethem et délivre un chef-d'oeuvre labyrinthique, puissant et magistralement interprété.

 

🎬 Star Wars, épisode IX - L'Ascension de Skywalker : 3,5/5

Avertissement : Cette chronique sera sans doute la plus subjective à être parue sur le site du Chapelier - elle comportera un avis sans une once d'objectivité et probablement quelques spoilers. Pour des critiques plus impartiales, je vous suggère de passer directement aux suivantes.


Comment évoquer Star Wars ? Comment parvenir à parler du dénouement d'une saga culte ponctuée de hauts et de bas, qui a révolutionné le cinéma, changé la science-fiction et généré trois générations de fans dont la ferveur confine parfois à l’extrémisme ?

En réalité, cette chronique est vouée à l'échec avant même de débuter. Certains lui reprocheront d'être trop dure, d'autres trop laxiste - il y a rarement de tempérance lorsque l'on évoque la fresque de space opéra la plus populaire de tous les temps. Et au final, même moi je ne saurai être satisfaite de cet article. Pour la simple et bonne raison que j'ai parfaitement conscience de n'avoir aucune objectivité lorsqu'il s'agit de la guerre des étoiles. Comme beaucoup d'entre vous, j'ai grandi en compagnie des Skywalker : j'ai vu la trilogie originale en compagnie de mon père alors que j'étais enfant ; j'ai découvert la prélogie sur grand écran adolescente entre amis ; adulte, je me suis rappelée à quel point j'aimais cet univers après être sortie totalement bouleversée de Rogue One. Et oui, j'aime la postlogie avec ses qualités et malgré ses évidents défauts. Je l'aime pour ses personnages, son casting, sa démesure, ses clins d’œils (parfois forcés). Je fais partie des spectateurs qui apprécient Le réveil de la force en tant qu'hommage et qui ont adoré la façon dont Les derniers Jedi s'est éloignée de la franchise.

Mais voilà, nous y sommes : L'Ascension de Skywalker, acte final en date de la saga. Et comme on pouvait le redouter, cet épisode IX est un long-métrage malade, déchiré entre les visions diamétralement opposées d'Abrams et de Johnson, noyé par la guerre d'ego monumentale entre les deux réalisateurs, submergé par un marketing médiocre et étouffé par le carcan imposé par la présidente de Lucas Films Kathleen Kennedy. Si le génie Mike Flanagan avait permis de réconcilier Stanley Kubrick et Stephen King avec son Doctor Sleep, force est de constater que J. J. Abrams n'est pas parvenu à pareil prodige.

Son film s'emploie donc à saper méthodiquement la plupart des (bons) points avancés par Johnson dans son prédécesseur - la quête identitaire de Rey ; le masque de Kylo Ren ; la vision pessimiste et tourmentée de Luke ; le personnage de Rose... Ces "corrections" contraignent donc Abrams a un long-métrage au rythme effréné, surtout dans sa première partie, quitte à soulever de grosses incohérences et en appeler à des facilités scénaristiques plus que douteuses. Si la seconde partie est bien mieux maîtrisée (on y reviendra), l'antagoniste final, qui tape allègrement dans le fan-service, est totalement risible. Certes, le rythme est haletant et on ne s'ennuie à aucun moment mais cette succession d'action ressemble plus à de la poudre aux yeux destinée à berner les spectateurs quant aux évidents défauts du film.

Le plus déstabilisant reste le traitement des héros Rey, Finn et Poe, lesquels galéraient copieusement dans Les derniers Jedi, là où, ici, rien ne semble vraiment leur poser problème. A mon sens, montrer des protagonistes imparfaits, qui prenaient les mauvaises décisions et dont les efforts ne suffisaient pas toujours à obtenir gain de cause, était largement plus intéressant que de les voir s'engager dans une quête avec très peu de doutes ou de difficultés - le sentiment qu'ils parviennent à tout surmonter sans subir de revers atténue d'ailleurs grandement les enjeux.

Encore une fois, la première partie est bâclée et il semble évident qu'Abrams cherche à faire tenir en 2h22 une trame que deux films supplémentaires auraient bien eu du mal à conclure dignement... Certes, il est plaisant de voir le trio être enfin soudé et errer aux quatre coins de la galaxie, d'autant que l'alchimie en son sein est palpable, mais cela ne suffit pas à rendre leur voyage convainquant, loin s'en faut.

Il y a aussi ce sentiment de gâchis intense concernant les protagonistes secondaires : le Général Hux est ridiculisé constamment et rabaissé au statut de comic-relief alors qu'il aurait été intéressant d'explorer réellement sa rivalité avec Kylo Ren ; Rose, victime du désamour des fans, n'est plus qu'une figurante ; Maz Kanata sera au final très survolée ; Jannah, qui aurait pu être une figure féminine intéressante, ne sera jamais exploitée convenablement...

Au niveau des héros principaux, Finn reste hélas toujours aussi fade, et ce malgré la très bonne prestation de John Boyega ; le personnage demeure assez superflu, tant par sa présence que ses décisions.

Et pourtant... Pourtant, j'ai adoré découvrir ce Star Wars.

Du côté des protagonistes, fort heureusement, il y a encore du très bon. Les adieux à Carrie Fisher et sa princesse Leïa se font de la façon la plus douce et bienveillante qui soit ; Chewbacca, C-3PO et RD-D2 sont toujours aussi bien intégrés à l'intrigue, de même que les petits robots BB-8 et D-O ; le tout nouveau personnage marquant du film, qui impose juste ce qu'il faut de mystère et de sexy, c'est sans nul doute Zorii, à laquelle Keri Russell prête sa silhouette longiligne, son regard bleu glacier et sa voix chaude sans jamais dévoiler l'entièreté de son visage ; Poe reste sympathique et attachant - ses rares altercations avec Rey, de même que sa bromance avec Finn, fonctionnent très bien. Oscar Isaac prend plaisir à incarner ce personnage au grand cœur, héritier direct des aventuriers dans la pure veine d'Indiana Jones, Rick O'Connell, Jack Colton et tant d'autres ; Rey reste toujours aussi attachante, son évolution continue d'être intéressante et son rapport au côté obscur est passionnant à observer. Le personnage doit beaucoup à la sensibilité et la finesse du jeu de Daisy Ridley ; toutefois, des personnalités les plus emblématiques de cette postlogie, c'est sans nul doute Kylo Ren/Ben Solo, brillamment incarné par Adam Driver, qui marque les esprits : il impose un personnage torturé, complexe, charismatique, déchiré entre le côté obscur et la lumière, digne héritier d'Anakin Skywalker par sa fragilité, proche de Leïa par sa détermination et d'Han par sa vaillance. Ni antagoniste, ni héros, un héritier tout en clair-obscur, touchant, tragique et insaisissable.

Sans surprise, le duo Rey/Kylo est au cœur de l'intrigue et s'avère très bien traité - leur relation est, à bien des égards, le grand tour de force de ce 9ème film, comme ce fut le cas pour son prédécesseur. La conclusion l'entourant, jugée trop gentillette ou au contraire trop sombre (les fans n'arriveront décidément jamais à s'accorder...), est selon moi parfaitement dosée : elle souligne la singularité de leur dyade, la puissance si singulière de leurs rapports et la nature hélas irréalisable de leurs sentiments. Déchirante mais étrangement positive puisqu'elle évoque le pardon, l'amour et la rédemption, cette fin était idéale pour le couple maudit, lequel s'impose du même coup comme l'exact opposé de Padmé et Anakin.

Enfin, le scénario prend soin d'évoquer les thèmes chers à la fresque galactique, entre fardeaux familiaux, lutte pour la liberté, conflits intérieurs forts, grands sacrifices, cohésion pour une cause juste et éloge de l'amitié. Les scènes d'action dantesques, entre batailles intersidérales et courses poursuites dans les dunes façon Mad Max, temple ténébreux et carcasses de vaisseaux laissées à l'abandon, sont toujours aussi impressionnantes. La plus notable, cependant, est celle qui voit Rey et Kylo s'affronter sous des trombes d'eau dans les entrailles de l'Etoile de la Mort, dans un duel à la fois éthique et physique.

De même, pour rendre justice à son réalisateur, l'humour est bien mieux dosé dans ce neuvième épisode, là où le huit avait une fâcheuse tendance à dédramatiser des scènes qui auraient mérité d'avantage de sérieux.

Alors oui, malgré toutes ses incohérences, ses défauts, ses approximations, j'aime beaucoup L'Ascension de Skywalker pour son couple principal, sa démesure, sa musique, son côté épique, sa dimension tragique, son discours intemporel sur la rédemption. Je l'aime parce qu'il m'a permis, encore une fois, de m'évader dans une galaxie lointaine, très lointaine.

 

🎬 Marriage Story : 4,5/5 (exclusivité Netflix)

Grand habitué des affres familiales, Noah Baumbach (While We're Young, The Meyerowitz Stories) revient sur ses thèmes de prédilection avec Marriage Story.

Le scénario est, en soi, affreusement banal : un couple en apparence idéal se désintègre à petit feu et décide de se séparer. Si le divorce est supposé se dérouler sans anicroche, il se retrouve bien vite passé au rouleau compresseur administratif, au joug belliqueux des avocats et à la difficulté des choix imposés par leur rupture... Affreusement banal, donc, parce qu'affreusement proche du quotidien, de la vie en général. Marriage Story fait partie de ces longs-métrages qui broient le cœur par l'extrême réalisme de son traitement, parce qu'il ne souligne que trop bien la facilité avec laquelle l'existence vole en éclats en l'espace d'une décision, fut-elle commune.

L'introduction réussit le coup de maître de présenter Charlie et Nicole non pas de leur point de vue mais de celui de leur (futur ex) conjoint : leur relation, ce qu'ils aiment profondément l'un chez l'autre, ce qui les rapproche, ce qui les éloigne, les petits défauts et autres manies que l'on décèle uniquement chez une personne intimement connue... Cette scène, astucieusement montée, suffit à nous faire apprécier les personnages, à créer de l'empathie et à comprendre le gâchis que sera leur divorce ; si eux n'en ont pas encore conscience, le spectateur sait déjà à quel point cette période sera douloureuse.

Et elle l'est. Pour eux et pour nous. Parce qu'on aime Nicole et Charlie à l'instant même où ils nous sont dévoilés, qu'on se prend à adorer un couple déjà moribond et ce qu'il représentait.

Avec beaucoup de pudeur et de sensibilité, Baumbach filme donc l'histoire d'un mariage et son pire cas de figure - son échec. Avec ses fêlures, sa fin inéluctable et le flot d'émotions irrépressibles qui en découle : la colère, l'amertume, le chagrin, l'angoisse, les confrontations, la difficulté à reprendre pieds... L'ancien amour s'étiole lentement avec le risque de céder à la haine la plus violente. Le deuil de leur relation, la fin d'une vie de famille rangée, d'une collaboration amoureuse et professionnelle sont au centre de ces 2h16 et traités avec une frénésie vertigineuse, emboîtant à la perfection les derniers vestiges d'un mariage.

Pour autant, puisqu'il s'attache à traiter la chose avec le plus de réalisme possible, le réalisateur-scénariste dresse un long-métrage tout en clair-obscur, où le drame laisse parfois la place à quelques moments de légèreté dérobés au cours d'une soirée, où la violence d'une dispute s'amenuise par la poésie d'un échange, où l’animosité apparente se fissure pour laisser apparaître l'affection et le respect sincères qu'ont Nicole et Charlie l'un pour l'autre. Le dénouement ne laisse d'ailleurs ni fiel ni tristesse, juste un léger vague à l'âme et énormément d'empathie pour son duo principal.

Le film est cru sans donner dans le mélo inutile, vrai sans exagération aucune. C'est sa sincérité et son absence de pathos outrancier qui le rendent si touchant et si prenant. Les dialogues, magnifiquement écrits, n'ont rien à envier à d'illustres dramaturges contemporains tant ils frappent fort, d'une précision hallucinante. La mise en scène, sobre et inspirée, à laquelle se superpose la musique virevoltante de Randy Newman, rend le visionnage d'autant plus saisissant.

Face à la caméra, Scarlett Johansson et Adam Driver offrent des prestations sublimes, sur le fil, d'une justesse incroyable, confirmant que, bien au-delà de leur participation dans des franchises à succès, ils sont et restent avant tout de formidables artistes. A leurs côtés, Laura Dern et Ray Liotta en avocats barrés et pugnaces, sont mémorables.

Aussi beau qu'éprouvant, Marriage Story narre le chant du cygne d'une relation avec une force, une élégance et une retenue exemplaires. Une chronique aigre-douce sur le (dés)amour mais surtout un très grand film à la clef.

 

🎬 The Lighthouse : 3,5/5

Débarqué sur nos écrans en cette fin d'année, The Lighthouse, second OVNI des frères Eggers, avait créé un joli effet de surprise lors de sa projection au Festival de Cannes. A raison car le film, thriller horrifique atypique sur le fond comme sur la forme, est une véritable perle noire.

Le postulat est minimaliste au possible : une île reculée de Nouvelle-Angleterre, dans les années 1890, accueille en son sein rocheux deux hommes venus garder son phare... La confrontation entre les deux protagonistes, la solitude et la folie, seront au cœur du long-métrage. La trame n'est pas sans rappeler La peau froide d'Albert Sanchez Pinol ; pourtant, si le point de départ est similaire, le traitement, lui, reste rigoureusement différent. Le film comporte bien quelques scènes fantastiques mais elles relèvent du domaine du songe, à l'inverse des créatures de La peau froide qui, elles, existaient réellement. Ici, l'horreur n'est pas liée à des êtres amphibiens qui rôdent aux alentours mais bel et bien aux occupants humains dont le mental se fissure, petit à petit, pour en divulguer toutes les failles, la fureur et la perte de repères avec la réalité.

D'emblée, The Lighthouse impose sa beauté classique, contemplative et anxiogène. Le noir et blanc donne à ses images une esthétique très forte, tout en adoucissant la dureté de certains passages clefs, en renforçant l'onirisme de sa mise en scène. Le format en 1.19/1, presque carré, souligne à merveille l'enfermement psychologique des personnages et leur isolement au sein de cet îlot battu par les vents, réclusion consentie puis fardeau quotidien. Via des plans serrés, la caméra de Robert Eggers s'attarde longuement sur les visages des protagonistes, les expressions, les regards ; elle magnifie du même coup la performance hallucinée de Robert Pattinson et la prestation inquiétante de Willem Dafoe, tous deux amaigris à l'extrême, habités par leur rôle, transcendants et glaçants à la fois.

Le film souligne l'absence totale de repère du duo en ôtant au public toutes ses marques : depuis combien de temps ce tandem évolue-t-il sur l'île ? A quel moment, au juste, la situation a-t-elle atteint son point de non retour ? La paranoïa et les discours incohérents des protagonistes, rongés par l'alcool et la démence, rendent toute rationalité impossible - y compris pour les spectateurs.

The Lighthouse est sans conteste l'une des œuvres les plus dérangeantes de ces dernières décennies tant elle parvient à insinuer le malaise à chaque scène, à distiller avec maestria son angoisse au cours de ce huis-clôt glauque. Pour autant, malgré son âpreté et sa violence à fleur de peau, le long-métrage n'est dénué ni de splendeur, ni de lyrisme. Les dialogues évoquent la plume de Poe ou de Shakespeare, les rares moments de rapprochement entre Dafoe et Pattinson offrent des scènes touchantes au possible et il y a bien sûr la grandeur naturelle de ce paysage désolé battu par le vent et les vagues, le symbole de ce phare dont la lumière devient obsession.

Enfin, on notera les scènes de rêves et de fantasmes, où les Eggers laissent éclater tout le délire violent et voluptueux de son anti-héros : alternant images chocs et étreintes lascives, le personnage de Pattinson se trouve confronter à une sirène entre autres délires déviants, dans des passages surréalistes qui ne sont pas sans évoquer l'étrangeté de Luis Bunuel...

Thriller psychologique sur les ravages de la solitude, le basculement dans la folie et la psychose meurtrière, savamment écrit et magistralement mis en scène, ce long cauchemar hypnotique offre une expérience éprouvante entre poésie macabre, trip halluciné et plongée aliénante. Une proposition radicale dont on ne sort pas indemne, même si elle laisse un sentiment inabouti...

 

🎬 La Vérité : 2,5/5

Autre référence en matière de chroniques familiales et grand habitué des tapis rouges, Hirokazu Kore-eda. Le réalisateur tokyote encensé pour Une affaire de famille, Notre petite sœur ou encore Tel père, tel fils, signe en cette fin d’année une longue lettre d’amour à la France : La Vérité. Un film franco-japonais qui promettait beaucoup, notamment avec sa tête d’affiche, Catherine Deneuve-Juliette Binoche. Ce tandem d’actrices au rayonnement mondial est ici secondé par Ethan Hawke et un duo d’excellentes débutantes, la pétillante fillette Clémentine Grenier et la troublante Manon Clavel.

Problème : loin de ses réussites nippones, la première excursion de Kore-eda sur le territoire français s’avère plutôt laborieuse… Le film ne parvient jamais à se hisser à la hauteur de ces précédentes réussites, cumulant les longueurs, inutilement verbeux, froid et désincarné. La plupart des personnages s’avèrent profondément antipathiques (Deneuve et Roger Van Hool en tête), le ton faussement subversif sur l’hérédité et le mensonge n’est donné que trop tardivement pour bousculer cette trame soporifique à souhait. La mise en abîme autour du personnage de Deneuve manque par ailleurs cruellement de subtilité.

Alors oui, il reste des interprétations très solides du casting, des dialogues remarquablement bien écrits, un questionnement intéressant sur la filiation et une réflexion poussée sur le statut sacralisé de l’acteur. Cela ne garantit ni un grand film, ni un bon moment. Cette chronique de vie tragicomique est d’un ennui qui n’a rien à envier à un certain cinéma d’auteur francophone nombriliste et élitiste à souhait. La poésie propre à Kore-eda a tristement déserté les écrans, de même que sa délicatesse et l’inspiration de sa mise en scène.

On est donc largement en droit de lui préférer le drame fantastique Air Doll, osé et affranchi, ou le thriller The Third Murder, sombre et ô combien ambigu – deux œuvres méconnues dans la filmographie de Kore-eda mais autrement plus captivantes.

 

🎬 Le Lac aux oies sauvages : 2,5/5

Sélectionné au Festival de Cannes, Le Lac aux oies sauvages se distingue d'emblée par son esthétique visuelle prononcée, sa beauté contemplative, son atmosphère sombre et le charme félin de son interprète principal, Hu Ge.

Si la première demi-heure est absolument remarquable, plongeant le spectateur dans le monde de la mafia chinoise avec ses combines, son organisation tentaculaire et ses éternels conflits internes, force est de constater que la suite prend légèrement du plomb dans l'aile.

Tout comme Le Gangster, le flic et l'assassin, le long-métrage souligne les similitudes effarantes entre les gangs et la force publique, faussant notre rapport à la justice. Mais là où le film de Lee Won-tae se distinguait par l'attachement voué à ses personnages, celui de Diao Yi'nan pêche étrangement par sa nature froide, la distance imposée avec ses protagonistes. En découle un sérieux manque d'implication de la part du public. A rester ainsi dans le nébuleux, à jouer sur l'austérité des caractères, il peine à donner une âmeà son chef de gang charismatique et sa prostituée aux motivations troubles. Il en va de même pour les personnages secondaires, si bien que lorsque le carnage débute, on se détache totalement de la succession de cadavres qui défile sur l'écran...

Si visuellement, les images sont superbes, Yi'nan est nettement plus à l'aise dans les scènes calmes que les moments d'action, franchement guignolesques et racoleurs, frôlant le ridicule à plusieurs reprises - on pense à cette décapitation façon Destination finale, notamment.

De même, à vouloir être subversif à tout prix, il ne laisse qu'une sensation de trop-plein au goût douteux - crachat de sperme, humiliation, torture, viol, meurtre... La succession de passages trashs ne parvient jamais à revendiquer autre chose qu'une volonté de choquer, comme un enfant terrible qui s'amuse à barbouiller ses dessins de rouge quitte à souiller l'ensemble et les propos avec. L'exemple le plus flagrant est le duo principal, qui promettait beaucoup mais ne sera jamais exploité à sa juste valeur. Il en est ainsi pour tous les personnages, y compris la femme du héros, opposée à son style de vie et déchirée entre son amour et sa volonté de protéger sa famille, combat qui n'est jamais convenablement mis en avant.

Du même coup, le film tourne en rond, prévisible, et accuse en cela de nombreuses longueurs ; la tension laisse vite place à une sensation de lassitude et on en vient à subir avec indifférence les moments les plus explicites, désintéressés depuis longtemps par le sort de ce mafieux trop droit qu'on sait condamné d'avance - pessimisme oblige.

Ce qui aurait dû être un polar au style novateur ne laisse au final qu'un sentiment de pétard mouillé. Le Lac aux oies sauvages souffre d'un sérieux manque d'humanité et d'une volonté de choquer qui hélas, ne parvient pas à masquer des thématiques trop survolées. Dommage.

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