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Digressions, non-dits & qu’en-dira-t-on #10 : Quand l'adaptation dépasse le livre...

Digressions, non-dits & qu’en-dira-t-on #10 : Quand l'adaptation dépasse le livre...

C'est un fait avéré et pourtant très impopulaire au sein des lecteurs (et encore plus auprès des libraires) : certaines adaptations sont plus réussies que le matériau d'origine !

Et oui, je vous le promets.

Avant que vous ne me lynchiez sur la place publique, il faut bien sûr tempérer ces propos - toujours tempérer son avis sur Internet, au risque de voir une foule de trolls affamés vous hacher menu.

Bien sûr, il est certain que l'inverse est plus généralement vrai. Des adaptations bâclées, lissées, vidées de leur substance, de leur message, simplifiées à outrance, mal jouées ou mal réalisées, il y en a des tonnes ! Les littéraires se plaisent d'ailleurs souvent à faire un top des adaptations les plus médiocres. C'est éminemment plus facile et ça fait du clic sans trop de problème. D'ailleurs, je vous glisse ici mon flop 10 perso comme ça on en parle plus : Call Boy, Dragonball Evolution, Spirou & Fantasio, Lucky Luke à la sauce Dujardin, Eragon, Crazy Rich Asians, Le chat chapeauté et Le Septième Fils (adapté de L'Epouvanteur, si si je vous jure)... Il y a aussi beaucoup d'adaptations que je n'ai pas appréciées outre mesure (Love Simon, Cornes, Le Hobbit vol. 2 & 3 ou Miss Pérégrine par exemple) tout en leur reconnaissant des points positifs, ce qui n'est pas le cas des dix daubes citées ci-dessus.

Entre le fiasco et la réussite totale, il y a aussi tous ces entre-deux pourtant bien sympathiques, plus à même de combler les cinéphiles : les bons films qui s'inspirent de façon très lointaine du support écrit, d'un univers ou d'un personnage, au point de devenir une œuvre à part entière. Shining est l'exemple le plus concret et le plus connu. Conspuée par son auteur Stephen King, l'adaptation de Kubrick a remporté tous les suffrages et supplante presque le livre dans l'esprit collectif.

Mais parlons de ces adaptations, celles qui se revendiquent d'une œuvre et ont réussi, finalement, à la dépasser. Celles qui ont amélioré, donné une ambiance spécifique à l'histoire, corrigé des défauts majeurs... Il y en a sans doute bien plus que celles dont je vais faire mention ici mais ce top reste très personnel. Il y a fort à parier que certains choix de cette liste fassent grincer quelques dents, alors si tu es un petit lecteur sensible incapable d'entendre des arguments allant à l'encontre de tes idées, je te conseille de passer ton chemin ;) !

Maintenant que nous sommes entre lecteurs et cinéphiles avisés... Voici donc mon Top 10 des adaptations ayant dépassées le livre !

Ah et petite précision avant de commencer...

 

La base : La maison du lys tigré

L'autrice : Ruth Rendell

L'adaptation : Valentin Valentin

Le réalisateur : Pascal Thomas

Pourquoi elle déchire tout ? De La maison du lys tigré, polar plutôt classique (au sens chiant du terme, le genre qui sent bon la naphtaline), Pascal Thomas a tiré une oeuvre singulière, profondément atypique : le tout véhicule une atmosphère étrange, lyrique et vaguement bohème. Le scénario est volontiers décalé, du moins au début, avant de se détraquer totalement. Le milieu bobo parisien y est retranscrit avec une pointe d'ironie amusée, dans ces vastes demeures haussmanniennes où les cancans et les fantasmes vont bon train, où on médit des uns des autres, où les rapports sociaux ne sont qu'une façade illusoire...

Les personnages sont de fait beaucoup plus attachants que dans le roman original, plus excentriques et plus marquants. A commencer par le héros éponyme : le très fade Stuart, rebaptisé (coup de génie) Valentin se mue ici en un protagoniste autrement plus intéressant.

Dans le rôle titre, Vincent Rottiers campe un poète contemporain, lunettes à la James Dean et perpétuel regard lunaire, timide et romantique, victime des amours sans retour de la gente féminine du voisinage - une amante nymphomane, une mère envahissante, un trio de colocataires en plein délire, des femmes mûres qui voient en lui la jeunesse et la réussite envolées...

Lui-même est épris d'une image, fugace et exotique, entre-aperçue brièvement, celle d'un lys tigré, dont il ne parviendra jamais à se saisir.

Ironie du titre, l'humeur n'est pas forcément très valentine et les émois s'achèvent rarement sur une note positive : les couples formés se font soit par dépit, soit par lassitude. Valentin reste inaccessible, abstrait, un jeune rêveur que ni son entourage ni le public ne parviennent à cerner tout à fait. Anti-héros sans aucun doute, ni téméraire ni imposant, mais non moins pourvu d'une certaine noblesse à la Musset.

Le long-métrage ne plaira certes pas à tout le monde mais pour peu qu'on soit sensible à son ambiance, Valentin Valentin fait des merveilles. Sur le ton de la tragi-comédie, un film d'auteur singulier et envoûtant, à l'image de cette ritournelle qui restera longtemps en tête :

Valentin, Valentin, laisse-toi aimer tranquillement.

Valentin, Valentin, laisse-toi aimer tranquillement.

 

La base : Pas raccord réédité sous l'effroyable titre Le monde de Charlie L'auteur : Stephen Chbosky L'adaptation : The Perks of Being a Wallflower / Le monde de Charlie Le réalisateur : Stephen Chbosky lui-même Pourquoi elle déchire tout ? Stephen Chbosky a écrit The Perks of Being a Wallflower (littéralement : Les avantages à faire tapisserie) en 1999. C'était sa toute première oeuvre et elle témoigne des maladresses propres à un premier roman : l'auteur cherche encore son style, certains personnages secondaires manquent de développement, la narration n'est pas toujours très limpide... Pourtant, Charlie et ses amis avaient déjà quelque chose de fort, d'authentique - ce petit plus qui rendait la lecture plaisante, les protagonistes attachants. Une candeur un peu décalée propre à l'adolescence, ses relations houleuses, ses petits et grands drames, sa quête identitaire.

Treize ans plus tard, l'auteur devenu réalisateur-scénariste reprend les grandes lignes de son oeuvre de jeunesse... Et améliore l'ensemble. Tous les points perfectibles le sont ; le casting mené par le trio Logan Lerman/Emma Watson/Ezra Miller est génial ; la bande-originale délicieusement rétro passe du Bowie, du Dexys Midnight Runners, du Rocky Horror Pictures Show, des Smith...

La réalisation, pudique et inspirée, accompagne brillamment les tribulations de ces lycéens en quête de repères, d'amitié et de projets. Le ton caustique et le regard percutant de Chbosky sont laissés intacts, de même que son absence de pathos ou de clichés.

The Perks of Being a Wallflower version 2013 est une brillante chronique de vie, loin des teen movies stéréotypés qui pullulent sur les toiles. Intelligent, sobre, bien écrit - cruel et déchirant, parfois.

D'un bon roman, il a tiré un excellent film, commué un coup d'essai en coup de maître. L'une des œuvres les plus sincères que nous ait jamais apporté le cinéma américain.

 

La base : La Dame en noir L'autrice : Susan Hill L'adaptation : La Dame en noir Le réalisateur : James Watkins Pourquoi elle déchire tout ? Susan Hill est considérée par beaucoup comme la reine de la littérature gothique moderne - un point de vue que je ne partage pas... Si je lui reconnais de nombreuses qualités, son oeuvre me laisse malheureusement plutôt froide et je ne suis jamais réellement parvenue à adhérer à ses romans.

Ainsi, malgré plusieurs tentatives, je n'ai achevé qu'un seul de ses ouvrages : La Dame en Noir, une histoire de fantômes plutôt convaincante à défaut d'être inoubliable. Alors certes, le tout est bien écrit et l'atmosphère travaillée avec soin... Mais encore faut-il adhérer au style (légèrement) désuet voir pompeux ; à ce narrateur d'un ennui abyssal ; aux longueurs qui égrènent l'ensemble de l'intrigue ; et surtout à LA FIN qui est réellement décevante - incohérences et frustrations garanties ! Résultat : on s'ennuie ferme et on attend gentiment que la revenante vengeresse ait fini son hécatombe.

Et pourtant... J'adore le travail effectué par James Watkins sur la version cinématographique : il a dynamisé l'action, rendu le héros Arthur beaucoup moins fade grâce à la présence torturée de Daniel Radcliffe, transformé le dénouement en une conclusion autrement plus satisfaisante, marquante et touchante...

Instaurant une ambiance trouble dès les premières secondes de La Dame en Noir, où l’impression d’un rêve nébuleux qui tourne au cauchemar est omniprésente, Watkins mène à pas feutrés son spectateur dans un univers aussi angoissant que fantastique.

Les décors, qu’ils soient naturels ou non, sont somptueux (le manoir niché sur sa colline rocheuse au cœur des marais, les landes brumeuses) ; toutefois c’est surtout la reconstitution parfaite du XIXème siècle, à mi-chemin entre la modernité et les traditions, qui est remarquable et force le respect.

La musique de Marco Beltrami tient toutes ses promesses en accompagnant l’atmosphère si particulière du film ; une partition inquiétante, ponctuée d’accords enfantins, renforce cette sensation de malaise déjà oppressante.

Si le but du réalisateur est évidement de faire monter l’angoisse crescendo, jusqu’au dénouement qui, d’entrée de jeu, s’annonce tragique, il n’en oublie pas pour autant d’instaurer, en notes de fond, un spleen plutôt lyrique.

Sans verser dans la surenchère d’hémoglobine ou d’effets spéciaux, La Dame en Noir propose ainsi un hommage direct à l’âge d’or du cinéma d’épouvante anglais et celle qui était sa société de production phare, la Hammer – c’est d’ailleurs cette dernière qui, deux ans après sa résurrection, a produit le long-métrage.

Un scénario diablement efficace, une mise en scène redoutable pour un film oppressant et mélancolique à souhait… L'une de mes œuvres d'épouvante favorites !

 

La base : Tom à la ferme L'auteur : Michel-Marc Bouchard L'adaptation : Tom à la ferme Le réalisateur : Xavier Dolan Pourquoi elle déchire tout ? Lire une pièce de théâtre est un exercice souvent jugé délicat auquel je me prête facilement - une habitude prise au collège qui ne m'a jamais quittée depuis. J'aime me plonger dans les tirades de Musset, Michalik, Wilde, Molière, Shakespeare, Rostand... La qualité de la plume suffit largement à me projeter dans leur univers, sans que la forme ne me contraigne le moins du monde.

En ce qui concerne Tom à la ferme, mon premier thriller théâtral, la lecture a été plus que compliquée... J'ai eu beaucoup de mal à identifier clairement les lieux, à établir les événements, à comprendre les enjeux. Je suis restée sur ma faim, incapable de définir autre chose qu'un sentiment de pur malaise face aux situations qui m'étaient présentées.

Et puis... Xavier Dolan. Le prodige du cinéma québécois s'est approprié d'une main de maître l'histoire glauque au possible de ce citadin qui, suite au décès de son amant, se retrouve exilé en pleine cambrousse face à la famille de ce dernier. Il rencontre alors la mère de famille dépassée et blessée, qui n'a aucune idée de l'homosexualité de son fils ; mais surtout le frère aîné, brutal et sadique, avec lequel Tom noue une relation ambiguë.

S'il retrouve ses thématiques fétiches (rapports mère-fils compliqués, orientation sexuelle à assumer, relations amoureuses complexes), il englobe le tout dans un huis-clos très éprouvant et violent, voir difficilement supportable.

Comme toujours chez Dolan, l'ensemble est parfaitement maîtrisé. Le cadre, les plans, la direction des acteurs, le choix de la musique... Le thriller, crépusculaire, prend alors tout son sens et les thématiques sont abordées frontalement, sans laisser ni répit ni ennui aux spectateurs : le deuil, la relation sadomasochiste, l’ambiguïté des rapports, la fascination toxique, le syndrome de Stockholm...

La relation entre Tom et son tortionnaire Francis est magistralement exploitée, entre révulsion et attraction - en témoigne la scène de danse, ahurissante de tension. Dolan (qui tient également le rôle titre), chevelure blonde, mimiques angéliques et fluet dans ses vêtements trop grands, affronte Pierre-Yves Cardinal, fauve et viril.

Un thriller rural inoubliable, dérangeant et dérangé.

 

La base : Je ne sais plus pourquoi je t'aime L'autrice : Gabrielle Zevin L'adaptation : 誰かが私にキスをした(Memoirs of a Teenage Amnesiac) Le réalisateur : Hans Canosa Pourquoi elle déchire tout ? En s'attardant sur la reconstruction d'une adolescente victime d'amnésie partielle, Gabrielle Zevin partait d'un excellent postulat. L'ex lycéenne populaire se rend compte que ses objectifs, ses relations, ses passions, ce qu'elle était, ne lui correspondent plus et doit apprendre à se redécouvrir. Les enjeux propres à cette période de transition entre l'enfance et l'âge adulte sont évidement renforcés par l'amnésie de l'héroïne.

L'idée de base est donc très intéressante - malheureusement, elle est aussi mal traitée. Tout est abordé avec beaucoup de superficialité, on s'attarde trop sur les histoires de cœur de la narratrice (pas attachante pour deux sous), l'intrigue cumule les longueurs, le style est gauche...

C'est donc d'autant plus surprenant que Zevin soit parvenue à tirer d'un roman aussi bancal un scénario aussi sympathique : le fait est que la plupart des problèmes mentionnés ci-dessus sont résolus avec l'adaptation cinématographique nippo-américaine, sortie en 2010.

Le mérite en revient pour beaucoup à son casting cinq étoiles (Maki Horikita, Kenichi Matsuyama, Anton Yelchin, Emma Roberts), lequel apporte à l'ensemble une fraîcheur et un charme dont l'alter-ego de papier était dépourvu.

Le réalisateur Hans Canosa, à qui l'on doit l'excellent Conversation(s) avec une femme, filme ses jeunes héros avec une douceur et une bienveillance rare.

D'un best-seller un peu mièvre, Canosa et Zevin tirent une chronique de vie adolescente réjouissante et juste, pudique et tendre. Certes, le long-métrage n'a rien d'un chef-d'œuvre mais il reste très agréable à suivre - une jolie parenthèse.

 

La base : Psychose L'auteur : Robert Bloch L'adaptation : Psychose Le réalisateur : Alfred Hitchcock Pourquoi elle déchire tout ? Vous savez le problème lorsqu'un réalisateur immensément talentueux adapte votre roman à l'écran ? Ledit roman passe totalement à la trappe. Tout le monde s'en fiche, tout le monde l'oublie - il aurait tout aussi bien pu n'avoir jamais existé !

Et à ce petit jeu, Hitchcock est un maître : vingt adaptations et, à l'exception notable de deux œuvres de Daphné du Maurier (Rebecca et L'auberge de la Jamaïque), la paternité de ses histoires a été totalement évincée par le cinéaste ! Pour preuve, certains romans originaux ne sont plus édités depuis longtemps, là où la filmographie d'Hitchcock reste un must-to-see pour la plupart des cinéphiles.

Je suis tombée sur Psychose, le roman original de Robert Bloch, par le plus grand des hasards. J'étais en études cinématographiques et, à cette époque, je papillonnais beaucoup dans les cinés et les bouquinistes - malheur et joie de la fac, on passe plus de temps à traîner dehors qu'à bosser, bref... C'est ainsi que j'ai déniché l'oeuvre de Bloch, alors que, en parallèle, je venais de découvrir Sueurs froides en cours.

J'ai donc lu Psychose avant même d'en découvrir l'adaptation... Et je n'en ai gardé qu'un souvenir flou, confus. Pourquoi ? La raison est simple : même sans avoir vu le film d'Hitchcock, j'étais déjà imprégnée par son imaginaire, ses plans, sa vision de Bloch... Au point de ne pas réussir à me construire la mienne. Le roman en soi était bien écrit, l'intrigue très intéressante (forcément) mais il pâtit hélas de la puissance évocatrice du réalisateur, de la maestria des plans, de sa virtuosité à établir une ambiance, du jeu inoubliable des acteurs.

Voilà comment, ironiquement, un bon roman reste anecdotique...

 

La base : Orgueil et préjugés et zombies L'auteur : Seth Grahame-Smith L'adaptation : Orgueil et préjugés et zombies Le réalisateur : Burr Steers Pourquoi elle déchire tout ? Ok je me confesse. Outre le fait que je ne lui pardonnerai jamais le scénario infect qu'il a déféqué pour Burton (Dark Shadows), j'ai un vrai problème avec Seth Grahame-Smith. Entendons-nous bien : je sais que cet auteur-scénariste a toujours des idées géniales... Sauf qu'il les sabote outrageusement par la suite !

Le mec a un défaut majeur qui revient sur l'ensemble de son oeuvre : il part d'un postulat barré qu'il n'exploite jamais jusqu'au bout ! Du coup, je quitte toujours ses livres ou ses films avec un sentiment de frustration incommensurable. Pas assez déjanté pour être fun, pas assez intense pour être mémorable...

Grahame-Smith a qui plus est la fâcheuse manie de se prendre beaucoup trop au sérieux. C'est le cas pour Orgueil et préjugés et zombies : en se prenant pour Jane Austen façon Walking Dead, il passe totalement à côté du potentiel jouissif de son intrigue ! Si une romancière du talent d'Austen peut largement se permettre d'être contemplative, ce n'est certainement pas le cas de Grahame-Smith... Du coup, son roman est long, laborieux et pas cocasse pour un penny, dépouillé de l'ironie propre à la célèbre romancière.

Ce qui n'est pas le cas de son penchant filmique signé Burr Steers, lequel mise exactement sur l'inverse ! Bien conscient du potentiel déjanté nanardesque d'une telle histoire, il va à fond dans le délire et pousse le trip à son paroxysme. Aussi stupide et improbable soit le résultat, il fonctionne. Parce qu'il n'a pas la prétention d'être autre chose qu'un divertissement de bonne facture, qu'un pastiche gore et bourrin, tout simplement. Le ton est volontiers décomplexé et joue grandement sur l'improbabilité du croisement entre Orgueil et Préjugés et Resident Evil.

Pour autant, certains dialogues sont savoureux, les scènes de combat bien chorégraphiées, les costumes magnifiques, la musique de Fernando Velázquez, grand habitué des partitions horrifiques, est des plus inspirées...

Et puis il y a sa distribution. Le duo principal Lizzie/Darcy, parfaitement retranscrit, bénéficie des interprétations géniales de Lily James et Sam Riley. Le couple marche à merveille, leurs joutes sont épiques - qu'elles soient verbales ou physiques - et leur alchimie est palpable. L'essence même de leur histoire est ainsi conservée : Darcy est orgueilleux et chevaleresque, Elizabeth prompte aux jugements expéditifs et éprise de liberté... Les seconds rôles ne sont pas en reste puisqu'on retrouve Douglas Booth, Matt Smith, Charles Dance ou encore Lena Headey. Tout ce petit monde est très à l'aise dans les costumes d'époque et cabotine pour notre plus grand plaisir, notamment Smith qui incarne un révérend Collins truculent !

Un plaisir coupable ultime, sanguinolent et ébouriffant.

 

La base : Le Baiser de la femme-araignée L'auteur : Manuel Puig L'adaptation : Le Baiser de la femme-araignée Le réalisateur : Héctor Babenco Pourquoi elle déchire tout ? Si Manuel Puig ne jouit pas d'une renommée folle dans nos contrées, il est l'un des auteurs les plus reconnus d'Argentine. Son oeuvre la plus célèbre, El beso de la mujer araña, étend sa narration sur un mois et conte la relation d'un duo de prisonniers, Luis Molina et Valentin Arregui. L'un est homosexuel et cinéphile, incarcéré pour attentat à la pudeur, l'autre un prisonnier politique, membre d'un mouvement révolutionnaire qui tente de renverser le régime en place. Les deux hommes vont, après un départ difficile, se rapprocher et faire fi de leurs différences morales.

A priori, ce roman avait tout pour me plaire : les thématiques, cette ébauche de romance refoulée, les dialogues parfois absurdes pour supporter la captivité - face aux tortures endurées, les conversations tournent autour de l'Art, des petits moments de grâce du quotidien hors de la cellule, des rapports avec les autres...

Pourtant, la lecture s'est avérée des plus compliquées. Le premier problème repose sur la forme, très abstraite, assez expérimentale et donc difficile à suivre. Le roman est exclusivement composé de dialogues ; il y a de quoi perdre le lecteur dans ce dédale de répliques sans indication de temps, de lieu ou de personnes.

Encore aurait-on pu composer avec tout cela si les protagonistes avaient été attachants, ce qu'ils ne sont pas : Valentin est une brute machiste à la virilité toxique, Molina un stéréotype de "folle". Sans surprise : leur relation est dépourvue de toute sensibilité et le couple ne marche pas. A aucun moment on ne voit autre chose qu'un pauvre niais servant de défouloir sexuel à un homme prisonnier de ses pulsions.

Là encore, d'un ouvrage loin d'être indispensable, on tire un chef-d'oeuvre à savoir Le Baiser de la femme araignée, réalisé par Héctor Babenco.

Cette fois, tout y est : l'alchimie du couple formé par William Hurt et Raúl Juliá, la sensualité, la beauté, la sagacité des dialogues, la fantaisie propre au personnage de Molina, l'atroce réalité de leur geôle, l'ambition dramatique...

A la fois onirique et violente, l'adaptation s'illustre dans une sublime recherche de l'autre, une ode à la tolérance et à la compréhension mutuelle.

Viril et touchant, profondément humain, Raúl Juliá s'oppose à un William Hurt gracile et lunaire, altruiste et perdu. Leurs prestations sont remarquables, toute en retenue, et vibre pourtant d'une intensité éblouissante. Sous leurs traits, le tandem est des plus attachants : on comprend leur psychologie, leurs drames personnels, toute la complexité de leurs rapports. Sonia Braga en femme araignée signe une apparition des plus remarquées, vénéneuse, désespérée et sensuelle, à l'image du long-métrage.

La mise en scène sobre et les décors épurés n'ont pour unique vocation que d'épouser ces personnages, les laisser se confronter, se découvrir, se trahir, grandir et mourir à l'écran. Si elle se veut dépouillée de toute emphase, l'adaptation n'est pas pour autant exempte de poésie, ni d'une certaine flamboyance, laquelle résulte surtout du personnage haut en couleurs de Molina.

Histoire d'amour, d'amitié et d'acceptation aussi, poème virulent contre l'homophobie et la dictature, un grand film intimiste. On ne sort pas aisément de la toile de cette femme-araignée.

 

La base : La mégère apprivoisée L'auteur : William Shakespeare L'adaptation : 10 bonnes raisons de te larguer Le réalisateur : Gil Junger Pourquoi elle déchire tout ? Alors oui, vous savez tout l'amour que je porte à Shakespeare. On lui doit Macbeth, Hamlet, Roméo & Juliette, Comme il vous plaira, La nuit des Rois et rien que pour cela déjà, il a mon affection éternelle ! Mais être fan n'exclue par toutes critiques et certaines pièces me laissent comme qui dirait un goût amer : typiquement, Le marchand de Venise et son antisémitisme ambiant ou encore La mégère apprivoisée et son discours ouvertement misogyne. Vous ne connaissez pas La mégère apprivoisée ? Il faut dire que c'est bien le dernier Shakes qu'il me viendrait à l'idée de faire lire aux étudiants !

L'intrigue est la suivante : le vieux Baptista a une ambition. Celui de caser ses deux filles, la douce cadette Bianca et la teigneuse aînée Catharina. Pour enfin marier la première, il veut déjà se débarrasser de la seconde... Le prétendant "parfait" pour Catharina se révèle être Petruchio, tout juste débarqué en ville, qui cherche une femme et n'a pour unique critère que d'épouser une fille riche - critère assez mercantile, il faut l'admettre. Catharina est donc épousée par un total inconnu au soulagement général : elle laisse ainsi le champ libre à Bianca. Sitôt mariée, Petruchio l'embarque pour Vérone. Pour "apprivoiser" sa mégère, il la prive de nourriture, de sommeil, la séquestre, use de la menace et de la manipulation puis l'oblige à porter de beaux vêtements afin de compenser son manque d'élégance. Une fois la drôle dressée, Petruchio retourne au domaine de beau-papa où a lieu un concours. Concours de quoi, me demanderez vous ? Mais d'obéissance bien sûr ! Et devinez qui l'emporte ? Catharina, devenue docile et parfaitement soumise à son époux. Ah ah ah. Vive l'humour élisabéthain.

A titre personnel, je ne comprends toujours pas comment l'homme qui a créé Juliette et Viola puisse s'abaisser à cette intrigue digne d'un porno sadomasochiste ! Heureusement pour nous, il y a une merveilleuse adaptation, qui a rattrapé le discours ô combien sexiste du vieux Will. Cette adaptation, c'est 10 bonnes raisons de te larguer.

L'intrigue est transposée dans le cadre d'un lycée des années 2000, à Seattle et est plus ou moins la même. Quant au dénouement, il reste celui d'une comédie romantique - commun et sans surprise donc. On y suit Bianca, une fille populaire et superficielle, qui voit ses prétendants être maintenus à distance par la réputation de son ingérable aînée. L'un de ses galants propose alors au rebelle du lycée, Patrick, de séduire Kat pour permettre à la cadette godiche de sortir avec lui. Evidemment, Bianca finit avec le gentil Cameron (lequel va lui faire prendre conscience de sa futilité) tandis que Patrick et Kat se mettront réellement en couple.

La différence majeure ? Le traitement, tout simplement. L'inversion est totale : on passe d'une histoire misogyne pourvue d'une relation dégradante à un message féministe porté par un tandem romantique et rendre-dedans à souhait !

Kat est un personnage absolument génial : elle est intelligente, cultivée, décidée, courageuse, insoumise... Elle tient tête à tout le monde et il est prouvé à plusieurs reprises qu'elle a tout à fait raison d'agir ainsi, de soutenir les idéaux qui lui sont chers. Julia Stiles incarne cette adolescente sauvage et déterminée avec un naturel désarmant ; loin de la mégère, elle est au contraire terriblement craquante et ne paraît jamais antipathique aux yeux du public - un tour de force.

Patrick est également un héros attachant, loin des séducteurs archétypaux des années 2000. La prestance naturelle d'Heath Ledger insuffle un charisme inné à cet anticonformiste mi-roublard, mi-romantique et de fait beaucoup plus intègre qu'il ne le semble au premier abord.

Le tandem fonctionne à merveille, ils ont une belle alchimie à l'écran, brillent par leur vivacité d'esprit et leurs reparties, se respectent et s'apprivoisent mutuellement. Il ne finit pas par la conquérir : ils se séduisent ensemble. En tête d'affiche, Ledger et Stiles font des étincelles !

Ajoutez à cela un BO décoiffante (Joan Jett, Air, B.I.G), une scène de danse culte, un peu de poésie, une bonne dose d'humour, un brin d'engagement et vous obtenez LA comédie romantique pour ados parfaite.

 

Les bases : Tête-Bêche / Lust, Caution / Big Fish / L'étrange histoire de Benjamin Button Les auteurs/rices : Yichang Liu / Chang Eileen / Daniel Wallace / Francis Scott Fitzgerald Les adaptations : In the Mood for Love / Lust, Caution / Big Fish / L'étrange histoire de Benjamin Button Les réalisateurs : Wong Kar-wai / Ang Lee / Tim Burton / David Fincher Pourquoi elles déchirent tout ? Adapter une nouvelle est un art délicat. Ce type de récit se doit d'être succin, sa narration rapide et son ton percutant. Un film, à moins d'adopter le court ou le moyen métrage dure minimum 1h : la brièveté du genre contraint donc fatalement le réalisateur et son équipe à ajouter des éléments clefs à l'intrigue, à densifier le récit, voir même à instaurer de nouveaux personnages.

Petit problème : à allonger indéfiniment une histoire, on risque d'en perdre l'essence et de se retrouver tel « un morceau de beurre étalé sur une tartine trop grande » dixit Bilbon - une remarque que Peter Jackson aurait dû considérer avant d'adapter le personnage dans sa trilogie du Hobbit.

Pourtant, il existe certaines nouvelles dont l'histoire, si prometteuse et cantonnée à si peu de pages, laissent un goût d'inachevé. Comme s'il restait encore à dire, trop peut-être ; que les protagonistes n'avaient pas délivré tous leurs secrets ; que l'intrigue s'était écoulée trop rapidement pour en saisir toute la profondeur et qu'elle avait continué son existence sans que nous, lecteurs, n'y ayons accès.

Ce manque de développement, je l'ai souvent ressenti, notamment avec les quatre textes suivants : Tête-Bêche de Yichang Liu, Lust, Caution de Chang Eileen, Big Fish de Daniel Wallace et surtout L'étrange histoire de Benjamin Button de Francis Scott Fitzgerald.

Si je cite précisément ces titres, c'est parce que chacun a été porté à l'écran, avec brio, et par de grands réalisateurs : Wong Kar-wai, Ang Lee, Tim Burton et David Fincher. Excusez du peu !

A chaque fois, la prouesse est la même - celle de porter une nouvelle à l'écran dans des longs-métrages avoisinant généralement les deux heures, maîtrisés de bout en bout, visuellement irréprochables. A chaque fois, des éléments viennent se greffer aux péripéties originales tout en respectant le matériel de base.

En résulte donc :

  • In the Mood for Love : un très grand film sur la relation platonique et fusionnelle de deux cocus magnifiques, toute en retenue et curieusement brûlante. La mise en scène est bourrée d'idées, comme toujours avec Wong Kar-wai : les époux infidèles ne sont jamais montrés, l'héroïne porte une robe différente à chacune de ses apparitions, la lumière est sublime... Une romance pessimiste sur les amours avortées, incarnée avec pudeur par Maggie Cheung et Tony Leung.

  • Lust, Caution : politique, érotique et tragique. Le trio gagnant pour cette adaptation ! Le film sue le sexe, le sang et la violence dans tous ses plans, volontiers dérangeant, abrupte et sans concession - engagé aussi. Cette liaison tumultueuse entre une jeune rebelle (révolutionnaire amatrice sans trop de conviction) et un général dominateur à la solde de l'ennemi est avant tout un drame puissant sur le déni. Au cœur de cette relation de dupes sadomasochiste, les sentiments s'emmêlent : la jeune femme doit se décider entre cet homme qu'elle aime mais qu'elle ne pourra jamais réellement avoir et la liberté de son pays. A jouer les amantes, elle finit par perdre de vue ses objectifs et qui elle est vraiment. Lui, de son côté, reste inaccessible et lointain, inquiétant - l'a-t-il jamais vraiment chérie ? La subtilité dans la performance de Tony Leung (encore lui !) laisse penser que oui, à sa façon étrange et brutale. Torride et choquant, ce mélodrame trop souvent oublié d'Ang Lee mérite pourtant d'être vu. Les âmes sensibles et les pudibonds, en revanche, s'abstiendront.

  • Big Fish : le long-métrage le plus lumineux, romantique et pétillant de ce cher Tim, à n'en pas douter. S'il détonne à priori dans sa filmographie, ce conte moderne casse les archétypes "burtoniens" tout en conservant l'essence du réalisateur : arbre biscornu, escalier bancal, sorcière, poésie macabre, monstres magnifiques, jeunes femmes à la blondeur éthérée... L'émotion et la magie s'y font la part belle, témoignant de la folle inventivité d'un génie mal dans sa peau, aux rapports familiaux alambiqués. Le merveilleux s'associe à une réflexion pertinente sur la force de l'imagination, les beaux mensonges et le poids héréditaire. Ajoutons à cela la musique féerique de Danny Elfman, les costumes splendides de Colleen Atwood et le casting irréprochable - Ewan McGregor en tête. Un film charmant entre voyage extraordinaire, périple initiatique et aventure homérique. Une folie, certes, mais une folie douce.

  • L'étrange histoire de Benjamin Button : étrange, à n'en pas douter, que le parcours de cet homme né vieux et mort bébé, qui défie inlassablement le cours classique du temps. A l'époque, le film avait révolutionné le cinéma par ses effets spéciaux au réalisme déroutant, lesquels montraient Brad Pitt évoluer physiquement aux différentes étapes de sa vie, de vieillard à adolescent à peine pubère. Aujourd'hui, on retient un chef-d'oeuvre voué, justement, à traverser les âges : une fresque baroque intemporelle sur la vie d'un homme et son amour impossible. La relation entre Daisy et Benjamin, fauchée par le curieux mal dont celui-ci est atteint, est parfaitement exploitée - Cate Blanchett est magistrale, comme à son habitude. Les personnages ont gagné en profondeur et en sympathie, les paysages de la Nouvelle-Orléans sont sublimes, la photographie est renversante, le ton s'avère parfois drôle, souvent tragique, toujours tendre. Une fable tragi-magique sur l'amour et le temps, curieusement humaniste, et un grand David Fincher.

 

Alors ? Selon vous, quelles adaptations sont plus convaincantes que le matériel d’origine ?

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