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  • Photo du rédacteurChloé

Cin’express : Janvier 2019

🎥 Cin’express :

Janvier 2019 🎥

 

🎬 EDMOND : 4,5/5

En 2016, Alexis Michalik créait la surprise sur les planches avec Edmond, une pièce narrant, de façon romancée, la création houleuse de Cyrano de Bergerac par Edmond Rostand.

En 2019, il récidive en l'adaptant sur grand écran pour ce qui s'annonce être le film français événement de ce début d'année.

Alors, Edmond au cinéma échec, réussite ou déception ?

Un échec, certainement pas. Non Edmond est une grande réussite, un grand film en costumes à la française, jouissif et enthousiasmant.... Mais consteller de petites déceptions.

Le défi a dû être grand pour Michalik de porter dans les salles obscures Edmond : comment être à la hauteur du prestige, de l'engouement et des critiques dithyrambiques récoltés par la pièce nommée sept fois aux Molières ? Sur les planches, Michalik a tout, il est le Petit Prince incontesté du théâtre ; au cinéma, en revanche, celui qui est davantage connu comme acteur de séries a tout a prouvé avec sa première réalisation.

Pourtant, là encore, il remporte le défi haut la main !

Passé la surprise de découvrir un tout nouveau casting (une petite pensée pour Guillaume Sentou et Stéphanie Caillol au coin de la tête), une nouvelle vision de la pièce, un nouveau regard... Le spectateur se laisse happer par le Edmond incarné par Thomas Solivérès. Jeune, timide, angoissé, Solivérès a su, à merveilles, capter la nature sensible et tourmentée de Rostand - pour la première fois, il tient un grand rôle dans un film d'envergure ! Là où il était le seul argument valable du désastreux Spirou et Fantasio d'Alexandre Coffre, ici, il investit tout l'écran, solaire, irradiant de génie. Ce choix pourtant singulier est payant et la première grande réussite de Michalik : tout le casting est tout simplement excellent !

Il y a bien entendu Thomas Solivérès mais aussi les inénarrables Clémentine Célarié, Olivier Gourmet et Mathilde Seigner qui cabotinent pour leur plus grand plaisir - et le nôtre ! Puis, il y a les révélations, Tom Leeb dans le rôle du séducteur virevoltant Leo Volny et Lucie Boujenah en délicieuse Jeanne, qui encadrent à la perfection Solivérès en meilleur ami trahi et muse malgré elle. Michalik s'offre le rôle du pédant Georges Feydeau, avec un entrain visible.

Côté scénario, on retrouve tous les atouts de la pièce : la verve incroyable de Michalik, les dialogues truculents à souhait, l'histoire parfaitement exécutée... Sur le principe de la biographie romancée, Michalik imagine, en partie, comment Edmond a pu inventer Cyrano, et ce en un temps record, alors que les créanciers et la Comédie-Française menaçaient l'ensemble de la troupe.

Là, le fantasme prend le pas sur la réalité : ce qui aurait permis un tel élan d'inventivité, c'est l'arrivée de l'esprit et de la beauté dans le quotidien plutôt morne d'Edmond. L'esprit en la personne de M. Honoré, un gérant de café à la langue bien affûtée (ici parfaitement interprété par Jean-Michel Martial) ; la beauté en la présence d'une jeune habilleuse, Jeanne, la conquête de Léo, lui-même étant acteur et grand ami d'Edmond. Ainsi, les répliques de la véritable pièce s'entremêlent-elles avec celles de son auteur, justement entrain de la composer. Nouvel effet de miroir, deux triangles amoureux : Cyrano/Roxane/Christian d'un côté, Edmond/Jeanne/Léo de l'autre. Cette idée centrée sur la source créative a déjà fait ses preuves au cinéma (Molière de Laurent Tirard ou Shakespeare in Love de John Madden notamment) et, de nouveau, la magie opère. Le scénario, une nouvelle fois, est tout simplement irrésistible.

Mais - car il faut un mais - quelques petits détails viennent légèrement miner l'appréciation du film pour qui a vu la pièce... De part son statut même d'adaptation, on était en droit d'attendre un certain travail sur la mise en scène, que Michalik joue sur les effets propres au cinéma - travelling, etc. Le film en est hélas totalement dépourvu. Derrière une caméra, le réalisateur-auteur-acteur se révèle moins à l'aise que sur les planches : là où la pièce brillait par sa mise-en-scène, la réalisation est curieusement sage. Sur scène, un mot vient à l'esprit : tourbillonnant. Il y a indubitablement de la folie dans la pièce de Michalik : les décors virevoltent, minimalistes et pourtant parfaits, aidés par le système de vidéo projection ; les douze acteurs changent de rôles à une vitesse fulgurante, jonglent avec leurs tenues. Ainsi, les planches sont constamment animées par cette frénésie collective, comme un miroir de son propre génie en ébullition. C'est d'autant plus palpable qu'Edmond reprend le principe d'une pièce dans une pièce, un argument supplémentaire pour pousser les scènes à s'enchaîner sans le moindre temps mort - le monde du théâtre n'est pas réputé pour être des plus calmes et les coulisses, où règne un sentiment de joyeux désordre, où chacun se hâte et s'interpelle, sont ici parfaitement retranscrits.

Or, le film l'est. Calme. L'urgence, la frénésie, ne transparaît guère. Typiquement, le générique de fin, dans sa première partie, est accompagné par une balade très douce, très calme, presque mélancolique signée Romain Trouillet (également compositeur de la pièce). Pourtant, ce qui ressort du dénouement, c'est l'euphorie d'une grande victoire : après tant d'embûches, le film s'achève sur l'ovation générale qui accueille Cyrano. En off, le narrateur rappelle que la pièce est la plus jouée du monde francophone, que la troupe reviendra saluer plus de quarante fois, que Rostand aura la légion d'honneur... Bref, on s'attendait plus à une mélodie virevoltante et joyeuse qu'à cet air morose !

Dans la lignée des déceptions, on peut aussi regretter que le tournage se soit déroulé en grande partie à Prague et non à Paris.

Le film n'a sans doute pas le génie créatif, ni la folie tourbillonnante de la pièce originale : qu'importe, il en conserve le panache, la plume, le jeu exquis... Pour son premier long-métrage, Michalik s'en tire honorablement, moins sur la forme que sur le fond, mais très bien malgré tout.

Porté par un casting impeccable, voici un long-métrage tour à tour sensationnel, imprévisible, inspiré, audacieux, touchant, poétique. N'en doutez point : à la fin du film, Michalik fait mouche.

Vous tenez la première réussite de 2019 !

 

🎬 Colette : 3,5/5

Le cinéma est parfois plein de surprises. Personne dans le monde francophone n'avait tenté un long-métrage sur Sidonie-Gabrielle Colette. Tout au plus, un téléfilm avec Marie Trintignant. Pourquoi ? Trop rebelle, trop sulfureuse, trop libre, trop émancipée ?

Difficile à dire. Le fait est que le biopic sur l'une de nos auteures les plus populaires a été remis entre les mains de Wash Westmoreland. Et que, côté casting, c'est Keira Knightley qui campe Colette. Pas trop de frenchy là-dedans donc.

Pourtant, le réalisateur américain et l'actrice britannique ont cerné à merveille ce qu'était Colette : le génie et l'affranchissement. Colette, incarnation de "la volupté, l'amour, la passion, la sensualité" (dixit Paul Léautaud), était avant tout une femme d'esprit, incapable de tolérer la moindre barrière tant dans l'art que dans sa vie privée, au-delà des diktats d'une société oppressante envers le beau sexe.

Le film, période post-Me Too oblige, n'a pas hésité à faire d'elle une icône anti-patriarcale, bien loin de l'image trop lisse véhiculée par certains biopics. Le film est voluptueux, taquin, inspiré, les répliques font mouche à coup sûr, tout en étant très respectueux de la personnalité qu'il traite.

Le long-métrage ne prétend évidement pas retranscrire l'intégralité de la vie de Colette : au contraire, il se focalise sur une période, cruciale, de son existence. Le mariage chaotique avec Willy, la création de Claudine, l'affirmation de sa bisexualité et l'émancipation, celle qui la conduira à être reconnue de tous comme une auteure de génie. Un choix judicieux car l'intrigue reste relativement dense.

Le casting est simplement parfait ! Keira Knightley tient sa meilleure prestation depuis The Imitation Game - balayant du même coup l'interprétation plus que discutable qu'elle nous avait délivré dans Casse-Noisette et les Quatre Royaumes. Elle a capté l'esprit de la femme, l'âme de l'écrivain, les émois de l'amoureuse... Intense et libre, elle appose avec conviction son minois de brune insaisissable et éthérée à Colette.

Pour lui donner la réplique, Dominic West, épatant en Willy, mari gargantuesque et manipulateur, homme d'affaires charismatique et tyrannique. L'incandescente Eleanor Tomlison, qui enflamme le petit monde des séries depuis son apparition dans The White Queen, incarne ici la séductrice américaine Georgie Raoul-Duval, amante à la fois de Willy et de Colette, auteure d'une double-trahison qui heurtera durement la jeune auteure. On retrouve également l'excellente Fiona Shaw (saga Harry Potter, Dorian Gray...) en mère dévouée au fort tempérament, la belle Aiysha Hart en sulfureuse actrice Polaire ou encore Jake Graf qui incarne à merveille l'auteur Gaston Arman de Caillavet.

Une distribution soignée dominée pourtant par Denise Gough, sensationnelle. La jeune irlandaise, étoile montant au théâtre, tient ici son premier grand rôle au cinéma en la personne de la marquise Mathilde de Morny dite Missy. Androgyne à l'extrême, séduisante, brillante d'esprit et de classe, elle affiche à l'écran une profonde alchimie avec Keira Knightley.

Coquet et coquin, Colette est une réussite.

 

🎬 The Happy Prince : 4/5

Il aura fallut des années à Rupert Everett pour voir aboutir son projet le plus personnel. Des années de galères, de chutes, de désarroi... L'acteur est un inconditionnel d'Oscar Wilde, l'un de ses plus fervents admirateurs et l'un des plus à même d'interpréter ses textes - il l'a prouvé par deux fois au cinéma, via L'Importance d'être Constant et Un Mari Idéal ; mais aussi au théâtre avec Le Portrait de Dorian Gray où il incarne (est-ce surprenant ?) le séduisant et manipulateur Lord Henry Wotton. Toujours au théâtre, il traîne son amour pour l'auteur comme la toge d'un génie martyr, idolâtrée mais usée jusqu'à la fibre, dans la pièce The Judas Kiss - il y incarnait déjà Wilde.

Pourtant, porter un tel projet, quasiment seul, dans la réalisation et dans le rôle principal, avait quelque chose de suicidaire. Everett est persona non grata auprès des producteurs : le défi d'une vie se relèvera donc en solo. Pourtant, il est excellent, quelque soit le rôle qui lui est proposé : déjà dans Another Country où il crevait l'écran du haut de ses vingt-cinq ans en compagnie d'un certain Colin Firth ; puis dans les productions humoristiques (Le Mariage de mon meilleur ami, Amours suspectes, le diptyque St Trinian's) qui, bien qu'assez oubliables, démontrent son inépuisable potentiel comique ; il y a aussi l'OVNI culte Dellamorte Dellamore, le gentiment coquin Oh my God ! et son interprétation solaire dans Songe d'une nuit d'été où il incarne le compagnon vengeur de Michelle Pfeiffer.

En réalité, Everett fait partie de ses étoiles qui disparaissent brutalement, sans qu'on ne sache vraiment pourquoi. De là à faire un parallèle entre le célèbre auteur irlandais et l'acteur britannique, tous deux adulés pour leur esprit et leur talent avant de connaître une brutale disgrâce, il n'y a qu'un pas.

Lorsqu'enfin, en 2018, The Happy Prince a débarqué sur nos écrans, l'impensable s'est produit : le premier film, accouché dans la douleur, après deux ans de post-production chaotiques, si (trop ?) personnel, est une réussite. La presse anglophone l'ovationne - côté France, on est plus mitigé, toujours un peu sceptique face à l'image malmenée d'une légende... On préfère le portrait lisse et aseptisé d'une idole, si fade soit-il.

Pourtant, derrière et devant la caméra, sur tous les fronts, Rupert Everett est sensationnel.

La mise en scène, élégante, sublime les personnages qui entourent Oscar Wilde - en particulier les jeunes éphèbes, les deux hommes de sa vie, le vaniteux Bosie et le dévoué Robbie Ross. La misère parisienne côtoie le faste cache-misère de l'Italie ; la grisaille brumeuse d'une gare prend des allures de mise à mort publique ; les dorures du théâtre renforcent la gloire de l'auteur avant sa disgrâce...

Car Everett ne tombe jamais dans le piège du fan idolâtre : s'il n'omet pas son talent, Wilde y apparaît avec ses fissures, ses failles, ses addictions. Un ogre dévoué aux plaisirs terrestres - la nourriture à outrance, l'alcool à flot et la couche des très jeunes garçons... La transformation physique d'Everett en Wilde est troublante. Le corps distendu, flasque, usé par la douleur mentale et les abus physique, le flamboyant quinquagénaire a visiblement délaissé toute coquetterie.

Le film étant centré sur la longue agonie de Wilde, alternant flash-back et voix off narrant son conte le plus célèbre (celui du Prince heureux, qui donne d’ailleurs son titre au long-métrage), l’allégresse et l'élégance s'y font rares. A bien des égards, The Happy Prince est donc l'exact opposé du Oscar Wilde de 1997 avec Stephen Fry et Jude Law, qui faisait l'impasse sur la mort tragique de l'auteur.

Les thématiques fortes de l'oeuvre sont abordées avec justesse : le traumatisme de l'humiliation publique, le poids de cette déchéance sur l'inspiration, le besoin de renouer avec femme et enfants tout en étant incapable de tirer un trait sur la passion (incarnée par Bosie), toute la discrimination qui entourait et entour encore l'homosexualité (Wilde ne sera réhabilité qu'en 2017)... Everett explore avec acuité les paradoxes de l'ex grand homme, relégué au banc des rebuts de la société.

Outre l'absence de manichéisme chez les personnages, il faut louer le talent de leurs interprètes. Everett aux premières loges, bien entendu ; mais aussi Colin Morgan qui retranscrit à merveille la complexité de ce chérubin blond destructeur qu'est Bosie pour Oscar ; son rival, le doux Robbie Ross, est incarné avec beaucoup de classe et de justesse par Edwin Thomas, nouveau venu au cinéma ; Emily Watson incarne avec élégance et retenue Constance Lloyd, l'épouse de l'auteur déchu, auquel elle reste irrémédiablement attachée malgré les trahisons successives ; Béatrice Dalle, Tom Wilkinson et Colin Firth font des apparitions remarquées, respectivement en tenancière de café parisien, en prêtre et en ami de toujours. Enfin, pour la petite touche chauvine, soulignons que deux jeunes acteurs français très prometteurs se trouvent au casting : il s'agit de Benjamin Voisin et Mattéo Salamone, lesquels campent deux frères vivants dans une pauvreté extrême. L'un est adulescent, rebelle et séducteur ; l'autre un gosse faussement angélique à la langue bien pendue. Le premier a été remarqué pour son second rôle dans Bonne pomme aux côtés de Gérard Depardieu et Catherine Deneuve ; le deuxième dans Mon Ket de et avec François Damiens. Deux visages que l'Hexagone devrait donc vite mémoriser

Pour mettre un point final à cette chronique, achevons par la conclusion suivante : The Happy Prince est un beau et grand moment de cinéma offert par Rupert Everett. Le chant du cygne d'Oscar Wilde se mue en une œuvre aussi éprouvante qu'émouvante, personnelle et universelle, poétique et pathétique, portée par l'immense talent de l'acteur-réalisateur. Un hommage sans concession, une réussite pleine d'amour et de fissures, survolé par la grâce de l'hirondelle et douloureuse comme le poids d'un cœur brisé.

Un coup de poing asséné avec la délicatesse d'un coup de plume.

 
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