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L’avis des libraires - 108ème chronique : Le Lac des Cygnes

L’avis des Libraires : 108ème chronique

Le Lac des Cygnes d'Alice Sola

Plus Odile qu'Odette...

Furieux par la promesse d'un mariage arrangé, le chevalier Siegfried s'aventure dans la forêt... Il y fait la connaissance d'Odette, une princesse victime d'un terrible sortilège : le jour, elle est transformée en cygne blanc et, la nuit, elle redevient humaine. La jeune héritière d'un royaume maudit, ainsi qu'une trentaine d'autres femmes, sont la cible de puissances damnées. Siegfried se promet de sauver les mystérieuses prisonnières du lac des cygnes.


Le 15 janvier 1895, au Théâtre Mariinsky de Saint-Pétersbourg, se tenait la première représentation finalisée du Lac des Cygnes, chorégraphiée par Petipa et Ivanov – celle que nous connaissons tous aujourd’hui.

124 ans après cette première triomphale, jour pour jour, je vous parle d’un autre Lac des Cygnes : celui d’Alice Sola. Avec cette réécriture, la jeune auteure nous délivre sa vision du célèbre ballet de Tchaïkovski. S’y retrouvent toute la féérie, tout le romantisme et toutes les péripéties épiques du grand spectacle russe. Trop peut-être ?

A la lecture du Lac des Cygnes, une évidence saute aux yeux : Sola porte à Odette et Siegfried une affection sans faille, elle aime visiblement chaque ligne de leur histoire, tout comme elle voue un attachement sincère au ballet. En témoigne une réécriture maîtrisée, autour de laquelle se brode un univers soigné, complexe et riche, qui fourmille de références. Outre les noms et l’intrigue similaire, le roman est notamment divisé en quatre actes, tout comme le ballet. Il faut également saluer l’omniprésence de la magie dans l’intrigue, véritable pierre angulaire du récit, du côté des héros comme des antagonistes. Contrairement à l’œuvre de Tchaïkovski, elle n’y est pas exclusivement néfaste et se veut largement moins manichéenne : une forme de pouvoir brute portée en soi, dont l’évolution dépend entièrement de son possesseur.

Au-delà du ballet, l’écrivain a également puisé dans la légende originelle, celle qui inspira l’argument de la représentation chorégraphiée la plus connue au monde : ce conte, signé Johann Karl August Musäus, s’intitule Le Voile dérobé. Les Éditions Magic Mirror ont d’ailleurs eu l’excellente idée de l'insérer à la toute fin du livre, permettant au lectorat francophone de redécouvrir ce conte allemand oublié.

Ces sources d’inspiration sont nombreuses et Sola parvient sans problème à en tirer un tout cohérent et des personnages forts, surtout du côté des protagonistes secondaires et des mages noirs. Siegfried, en premier lieu, est entouré de deux amis aux personnalités hautes en couleurs : Benno, son camarade le plus proche, vaillant et facétieux, et Aloysia, une jeune noble au fort tempérament qui, malgré son mariage, n’en garde pas moins son indépendance. Du côté des antagonistes, les sorciers métamorphes sont véritablement terrifiants, en particulier Rothbar : Alice Sola a donné à ce dernier un passé des plus malsains, qui ne fait que renforcer toute l’animosité du lecteur - et d'Odette - à l’égard du personnage. Et comment ne pas évoquer le cygne noir, fille de sorcier dégénéré, la sombre, la tourmentée, la puissante Odile ? Cette mystérieuse jeune femme est sans conteste le personnage le plus troublant du Lac des Cygnes et si Alice Sola ne fait que l'effleurer, elle n'en reste pas moins cruciale : l'écrivain renforce ainsi le statut de Doppelgänger du personnage, dont les traits évoquent ceux de la lumineuse Odette et dissimulent pourtant une obscure personnalité. LA grande réussite de ce court roman !

Aussi, en dépit de la diversité des personnages, de la richesse de l’univers, du foisonnement de clins d’œil et du soin apporté à la réécriture, il est possible de regretter qu’Odette et Siegfried, eux, peinent à s’affranchir des archétypes qu’ils étaient à l’origine. Siegfried reste ce chevalier éperdu d’amour, dénué du moindre défaut hormis ses rebuffades capricieuses, caractérisé avant tout par sa bravoure - le mâle sauveur dans toute sa splendeur ! De son côté Odette, durant les trois quart du livre, demeure la demoiselle en détresse, la figure maternelle positive qui prend en charge les autres femmes-cygnes, une sainte un peu insipide qui brille avant tout par sa dévotion : si elle brise cette image lors du final, elle n’en reste pas moins plutôt lisse. Ce qui est regrettable car d’autres figures féminines (Odile, Aloysia ou la Princesse Souveraine) sont beaucoup plus intéressantes à suivre.

A la moitié du roman, Alice Sola nous délivre un récit tout à fait passionnant et, s’émancipant un peu plus du conte original, propose une intrigue nettement plus sombre et violente. C’est également ce dénouement qui permet à Odette d’être – ENFIN ! – une véritable héroïne ! L’inéluctable combat du Bien contre le Mal se déroule ici à plusieurs endroits en même temps et l'issue est loin d'être courue d'avance, ce qui le rend d’autant plus captivant à suivre. Après des débuts hésitants et un peu sages, les actes III et IV font figure de tourbillons, enivrants, fascinants et impétueux ; l’auteure démontre d’ailleurs une belle maîtrise des scènes d’action.

Côté plume, si les tournures de phrases sont parfois inégales, un peu enfantines ou un peu maladroites, et que de petites fautes jalonnent l’ensemble, le tout reste très agréable à suivre. Le vocabulaire est foisonnant, le style est prometteur et, lorsqu’elle nous délivre des moments emplis de poésie ou d’émotions, Sola excelle. Si son Lac des cygnes n'est pas l’œuvre de la maturité (elle en écrira probablement d'autres, en tout cas il faut l'espérer - on ne s'arrête pas en si bon chemin !), il reste néanmoins un livre ambitieux et présage le plus beau des avenirs à l’écrivain.

Tout comme Nina Gorlier, Alice Sola est une auteure prometteuse qui, sans aucun doute, a sa place dans le renouveau fantastique français. Une auteure qui, à n’en pas douter, tient plus du superbe cygne que du vilain petit canard.

Ne lui reste plus qu’à prendre son envol.

 

~ La galerie des citations ~


« Brusquement, les mille et un bruits de la nuit se turent. Plus de sifflement d’insectes, plus de bruissements d'animaux. Comme si le seul silence angoissant et les ténèbres convenaient à l'auteur de la malédiction. »

~ p 37

« Qui mieux que la grandeur du ciel peut nous remettre à notre place ? »

~ p 113 / Le Prince Électeur à son fils, le prince Siegfried

« Comme une étoile en fin de vie, elle avait l'impression qu'elle allait exploser de douleur avant de se transformer en néant absolu. »

~ p 192 / Odette

 

Le Lac des Cygnes d'Alice Sola, paru aux Éditions Magic Mirror, 281 pages, 18€.


Article paru en version écourtée dans le Pays Briard du 15.01.18

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