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L’avis des libraires - 68ème chronique : L'amour après de Marceline Loridan-Ivens

L’avis des libraires – 68ème chronique :

L'amour après de Marceline Loridan-Ivens

(avec la collaboration de Judith Perrignon)

Shoah, survivance & sexualité

☞ Note aux lecteurs ☜

Ecrire sur une telle femme semble d'emblée impossible tant on se sent ridicule, minuscule face à elle. Marceline Loridan-Ivens, l'emblème de la survie, de la liberté, de la force. La femme rousse flamboyante à multiples casquettes - réalisatrice, auteure, rescapée, féministe.

Après Et tu n'es pas revenu où elle évoque Birkenau, elle dépeint cette fois la vie hors des camps, plus particulièrement sous le prisme de l'amour et du désir.

Et comment chroniquer objectivement son œuvre ? J'en ai été incapable face à Imre Kertesz, à Primo Levi... Qui pourrait s'abaisser à juger des témoignages si courageux, si personnels ? J'étais désemparée face à eux. Je le suis tout autant ici.

Elle est intimidante, cette femme qui se dessine aux détours de ses livres, de ses autobiographies poignantes. L'admiration tue l'objectivité. Aussi, j'espère que cette critique inhabituelle ne sera pas un frein à votre envie de découvrir L'amour après car ce livre court, singulier et puissant mérite assurément d'être lu.

 

A bientôt 90 ans et presque aveugle, Marceline Loridan-Ivens se remémore son retour au quotidien après avoir subit adolescente l'horreur des camps... Par le prisme d'une valise contenant quelques centaines de lettres et de photographies d'amis et d'amants, elle retrace son parcours. Car comment vivre, aimer, désirer et prendre du plaisir lorsque la nudité est irrémédiablement associer à l'abjection nazie...


Cette autobiographie est un portrait de femme, l'un des plus beaux qu'il nous ait été donné de lire ; un portrait de corps et de cœur. L'adolescence et la puberté, Marceline Loridan-Ivens les vit derrière des barbelés, à Birkenau. Elle a quinze ans. Dès lors, l'image de son corps est détruite, la mise à nue « à jamais associée [...] à l'ordre d'un nazi, à son regard humiliant tandis qu'on [leur] rasait la tête et le sexe, à son verdict : la mort ou le sursis. » (p 18)

A la libération, comment se reconstruire ? Le corps n'existe plus, le désir est totalement nié dans le cercle des survivants... Loridan-Ivens décide, elle, de prendre le contre-pieds de ce que sa famille et la société exigent d'elle : un mariage et de la discrétion. Elle couche pour désobéir, revendiquer son indépendance, reprendre possession de son corps. Le sexe se fait pragmatique, sans plaisir, un moyen de brandir sa liberté de corps, alors que la tête aspire à la romance, au prince charmant. Elle a soif de tout : de savoir, de liberté, de sexe, de vivre, tout simplement. Eviter la malédiction familiale qui semble empoisonner sa famille entre un père jamais revenu des camps et une fratrie autodestructrice, alors qu'elle-même réchappe à deux tentatives de suicide.


« Nous traînions nos morts, bien sûr, mais aussi trop de modèles censés nous remettre sur pied. J'ai cru comme elle au Prince Charmant, je l'ai espéré, plus on est libre, plus on entretient l'idée d'un homme idéal, on cherche l'âme sœur, pas le mari, c'est une longue quête où l'on s'enferme comme la bonne épouse dans sa vie rangée. Il ne viendra pas. Il n'existe pas. Il faut déserter les modèles, fuir leurs pièges, leurs barbelés invisibles. »

~ p 42


La plume de l'auteur ressemble à Marguerite Duras : il y a ce style vif et incisif, les confessions sans concession aucune et pourtant si pudiques. Son témoignage n'est ni larmoyant ni dans la surenchère. Il y a beaucoup de respect lorsqu'elle évoque ses amants, même si elle avoue en avoir oublié certains - elle citera le rescapé Freddie, son premier ; l'éphémère Vladimir ; le garçon aux faux-airs de Brando qu'est Camille ; le philosophe Edgar Morin ; Nat Lilenstein autre survivant d'Auschwitz, réalisateur talentueux mais amant violent... Il y aura aussi l'architecte, non nommé, qui lui fera découvrir l'extase charnelle mais qu'elle fuira, apeurée par le plaisir qu'elle tire de la souffrance. Et puis les autres, ceux sur lesquels elle s'attarde plus volontiers, qui marque sa vie ou son oeuvre, parfois les deux : le réalisateur Jean-Pierre Sergent, amant et ami de toujours ; l'auteur Georges Perec ; Francis Loridan, mari qui ne veut rien savoir de sa part d'ombre. Et enfin, son grand amour en la personne du réalisateur de documentaires Joris Ivens, de trente ans son aîné, celui qui lui donnera des "axes", salutaire.

Avec nous, Loridan-Ivens se remémore les courriers, retrouve des fragments de son passé dans une vieille valise (sa valise d'amour comme elle se plaît à l'appeler) - ses souvenirs, des lettres qu'on lui a écrites ou qu'elle a rédigées sans les envoyer. Lettres où la déportation n'est pas mentionnée, tabou comme le plaisir - l'horreur et l'extase semblent devoir disparaître totalement du quotidien des survivants, comme si leurs existences devaient se résumer à vivoter sans jamais pleinement affronter les sentiments les plus forts. Loridan-Ivens choisit de mener une existence opposée : ni enfant, ni ménage tranquille, elle vit au jour le jour et sans concession, quitte à en rajouter, pour dissimuler sa peur farouche, sa haine de son corps et son manque de confiance en elle.

Entre le chemin de ses amants et le sillage houleux de sa reconstruction, entre ses combats politiques et personnels, il y a aussi ses amies, soutiens de toujours, éloignées par la vie ou inexorablement liées : Bébé et Caramel, jeunes filles égarées tout comme elle ; Jacqueline Wolf, amie et auteure également ; et bien sûr l'inoubliable Simone Vieil. Des amies qui l'accompagnent, tant bien que mal, avec leurs propres blessures.

Portrait d'une époque, portrait de mœurs, portrait de survivante, portrait de la complexité sexuelle, portrait de femme, tout simplement. Et quelle femme !

« J'ai découvert [mon corps] en même temps que je l'ai su condamné. »

~ p 18

« J'ai envie de toi - j'ai besoin de toi. Ça ne sert peut-être à rien de le dire - je ne sais pas - je m'en fous - je t'appelle - je t'attends. »

~ p 27

Marceline Loridan-Ivens & Judith Perrignon : L'amour après aux Éditions Grasset. 162 pages. 16€


Article paru dans le Pays Briard le 20.02.18

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